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David, quittant ses troupeaux pour le combat, bien que son âge et sa profession l’exemptassent des travaux militaires, se chargea, lui seul, du commun fardeau de la guerre, et remporta des succès au-delà de toute espérance. Et quand bien même le succès lui aurait fait défaut, il eût mérité encore des couronnes pour prix de son zèle et de sa résolution. Car s’il avait été soldat et en âge de combattre, sa conduite n’aurait rien eu d’admirable ; il n’eût fait qu’obéi r à la loi qui régit les camps. Mais David ne cédait à aucune contrainte, que dis-je ? beaucoup de personnes lui suscitaient des obstacles ; ainsi son frère le blâma, et le roi considérant sa jeunesse, et la difficulté qu’éprouve cet âge à braver les périls, le roi le retenait et lui prescrivait de rester : Tu ne pourras marcher, lui disait-il, parce que tu es un petit enfant, et que cet homme est verrier depuis sa jeunesse. (1Sa. 17,33) Néanmoins, sans qu’aucune raison l’encourageât, si ce n’est le zèle divin et l’amour de la patrie qui échauffait intérieurement son cœur, comme s’il avait devant lui des brebis et non des hommes, comme s’il devait faire la guerre à des chiens, et non à une formidable année, il marcha plein de sécurité, contre les barbares ; et il montra tant de sollicitude pour le roi en cette occurrence, que celui-ci qui avant le combat et la victoire était prosterné la face contre terre sentit se relever son courage. En effet, ce n’est point seulement par ses actes qu’il lui fut utile, c’est encore par ses paroles d’encouragement, en l’exhortant à reprendre confiance, à espérer bien de l’avenir Que le cœur de mon maître ne s’affaisse point sur lui-même, lui dit-il, parce que ton serviteur marchera et combattra avec cet étranger. (Ibid 5, 32) Est-ce peu de chose, dites-moi, que d’exposer ainsi sa vie sans nulle nécessité, et de bondir au milieu des ennemis pour rendre service à des gens auxquels on n’a aucune obligation ? Ne fallait-il pas après cela lui décerner le titre de Maître, le proclamer sauveur de l’État, lui qui avait garanti, après la grâce de Dieu, et la dignité royale, et les fondements des villes, et la vie de tous ? Quel autre service aurait-il pu rendre qui surpassât celui-là ? Ce n’est point à la fortune de Saül, ni à sa gloire, ni à sa puissance, c’est à sa vie même qu’il rendit service ; il le rappela des portes du tombeau ; c’est grâce à lui, autant que la chose dépendait des hommes, que, ce roi vécut désormais, qu’il jouit de la puissance. Comment donc Saül répondit-il à ce bienfait ? Si l’on considère la grandeur des mérites, en ôtant la couronne de son front pour la poser sur celui de David, il ne se serait point encore acquitté, il n’aurait payé que la moindre partie de sa dette. En effet, il devait à David la vie et la royauté ; et c’est la royauté seule qu’il lui aurait cédée. Mais voyons sa reconnaissance à l’œuvre. Comment la témoigna-t-il ? Il vit dès lors David avec défiance, et à partir de ce jour il le soupçonna. Pourquoi ? par quelle raison ? Car il faut bien dire le motif de cette défiance. Aussi bien, quoi que l’on dise, elle ne saurait le justifier. Quel motif peut nous autoriser à soupçonner un homme à qui nous devons la vie et le bienfait de l’existence ? Mais voyons la vraie cause de cette haine, vous verrez que David méritait, et ceci n’est pas au-dessous de sa victoire, d’être honoré pour ce qui le faisait soupçonner et persécuter. Quel était donc ce motif ? Il avait pris la tête du barbare et s’en était allé chargé de ses dépouilles. Les femmes sortirent, dit le texte, chantant et disant : Saül a frappé mille ennemis pour sa part, et David dix mille. Et Saül se mit en colère et il voyait David avec défiance à partir de ce jour et dans la suite. (1Sa. 18,8-9) Pourquoi cela ? dites-moi ? A supposer que l’on eût tort de parler ainsi, ce n’était pas une raison pour en vouloir à David ; mais connaissant sa bonne volonté par ce qui s’était passé, sachant que sans que rien l’y forçât ni l’y contraignît, il s’était exposé de gaieté de cœur à un pareil danger, il fallait se défendre désormais de tout mauvais soupçon contre lui. Mais ces éloges étaient justes ; et s’il faut le dire au risque d’étonner, c’est Saül que les femmes favorisaient en parlant ainsi, plutôt que David ; et le premier aurait dû se tenir pour content de ce qu’on lui avait fait tuer mille ennemis. Pourquoi donc s’indigner, de ce qu’on en avait fait tuer dix mille à David ? Si Saül avait contribué à la guerre, s’il y avait pris une faible part, c’est été lui faire honneur que de dire : Saül a frappé mille ennemis, David en a frappé dix mille. Mais s’il était resté tremblant, effrayé, enfermé, immobile, s’attendant chaque jour à mourir, et si David avait tout fait à lui seul, n’était-il pas absurde que celui qui n’avait aucunement partagé ces périls s’indignât de ne pas avoir le