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enfin tous les maux m’arrivent-ils ? Ainsi pendant que ces fratricides, ces loups, ces animaux féroces, vivaient dans les délices malgré leur crime sous le toit paternel, lui, qui devait être leur roi, maintenant esclave, soumis à un maître, vendu dans une terre lointaine, accablé par le poids de la misère, non-seulement il n’était pas leur roi, mais il était devenu leur esclave, et ses infortunes contredisaient de point en point les promesses qu’il avait reçues. En effet, bien loin de gagner un trône, il perdait sa patrie, sa liberté, la vue de ses parents, et ses épreuves n’étaient pas encore à leur terme.
Un nouvel abîme, plus profond que tous les autres, s’ouvre pour l’engloutir et le menace une fois de plies de mort et de supplice, mais de mort ignominieuse et de supplice plein de déshonneur. Car la reine a porté sur lui des yeux impurs ; séduite par la beauté de l’adolescent, captivée par l’éclat de son visage, à son tour ; elle ourdit contre lui des piégés et des embûches. Lorsque sa luxure eut tendu ses filets de tous côtés, elle observait chaque jour comment elle pourrait prendre l’adolescent dans ses mailles, le précipiter dans le gouffre de l’adultère et le livrer à une mort éternelle. Chaque jour elle allait à cette chasse, aiguillonnée par sa passion ; chaque jour son lascif amour lui donnait de nouvelles armes. Enfin, l’ayant surpris loin de tous les regards, elle l’entraîna de force dans ses bras impudiques, voulut le contraindre à souiller la couche de son époux, et s’efforça de faire violence à sa chasteté. Ce juste est pourtant sorti sans blessure d’une telle lutte : l’empire de la concupiscence, le trouble des sens dans un âge si tendre, les pièges d’une épouse impudique, les efforts d’une reine, l’emportement de la jeunesse, toutes les impressions que pouvaient éveiller en l’ut le contact, la vue, la fureur passionnée d’une femme ; il surmonta tout avec la plus grande facilité, comme l’aigle qui élève son vol vers les plus hautes régions de l’air ; et, se dépouillant de ses habits, les abandonnant à ces mains impures, il sortit nu ; mais tout nu qu’il était, la chasteté le couvrait d’un vêtement splendide et plus éclatant que la pourpre elle-même.
Cet acte de vertu lui valut devoir encore une fois le glaive menacer sa tête, la mort lui dresser ses embûches, la tempête redoubler de violence, et la fureur de la reine jeter plus de flammes que la fournaise de Babylone. Car ses désirs s’étaient rallumés plus ardents, et la colère, autre passion terrible, qui venait s’ajouter à sa luxure avait rempli son âme d’une extrême cruauté, se portait tout entière au meurtre, saisissait le glaive, méditait les châtiments les plus injustes, et hâtait le supplice de cet athlète de la chasteté, de la fermeté et de la constance. Elle va donc vers son époux, et lui expose les faits, mais non dans leur vérité. Elle ourdit la trame de la calomnie, fait croire au juge tout ce qui lui plaît d’imaginer, accuse Joseph de l’avoir surprise seule, et, comme si elle avait été outragée, demande vengeance : enfin, comme pièce de conviction, ses mains impures portent les habits de l’in notent jeune homme. Ainsi corrompu, le juge n’appela point l’accusé devant son tribunal ; et ne lui donna pas la parole. Sans l’avoir vu, il le condamna comme coupable et convaincu d’adultère, et le fit jeter chargé de chaînes dans la prison. Ainsi, celui que la vertu ornait, d’une si belle couronne, dut vivre en prison avec des imposteurs, des briseurs de sépulcres, des meurtriers, des hommes souillés de tous les forfaits : et pourtant toutes ces ignominies n’ont pas pu le troubler ! Un prisonnier qui avait offensé le roi fut relâché, mais lui, détenu depuis longtemps, il restait toujours enfermé : et ce qui eût dû lui mériter, récompense et gloire lui avait valu le dernier des châtiments. Il ne s’en émouvait pas, s’en scandalisait pas, il ne se disait pas même : pourquoi ces souffrances ? A quoi bon ces épreuves ? Moi qui devais régner sur mes frères, non-seulement je n’ai pas les honneurs suprêmes, mais j’ai même perdu patrie, maison, parents, liberté, repos ; j’ai été immolé par ceux qui devaient se prosterner devant moi, et, après qu’ils m’eurent ainsi sacrifié, ils m’ont vendu ; je suis devenu esclave dans un pays barbare, j’ai passé de maître en maître, et là ne s’arrêtent pas mes malheurs : il n’y a autour de moi que gouffres et que précipices. Car, après que mes frères m’eurent entouré de pièges, m’eurent immolé, m’eurent livré à la servitude, à la servitude des marchands, à la servitude des Égyptiens, voilà que : de nouveau je vois se dresser devant moi les pièges de la mort, une calomnie plus noire encore que celle dont j’avais déjà été victime d’habiles machinations, une attaque passionnée, une justice corrompue, une accusation