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première, touchés de repentir, ils se tournèrent du côté de la vertu, et si bien, qu’ils tirent révoquer le décret de Dieu, qu’ils raffermirent leur ville ébranlée, qu’ils écartèrent loin d’eux la colère divine et s’affranchirent de toute affliction. Car Dieu vit, dit l’Écriture, qu’ils s’étaient convertis en quittant leur mauvaise voie, et que chacun d’eux s’était retourné vers le Seigneur. (Id. 10) Expliquez-moi cette conversion. Assurément leur malice était grande ; leur perversité inexprimable ; leurs plaies difficiles à guérir, et c’est ce que le Prophète a montré ainsi : Leur malice s’est élevée jusqu’au ciel. (Jon. 1,2) L’intervalle des lieux lui sert à faire comprendre la grandeur de leur iniquité. Eh bien ! pourtant, cette corruption si grande, cette perversité assez accumulée pour s’élever jusqu’au ciel, il a suffi de trois jours, de quelques instants, de quelques paroles prononcées par un homme seul, un inconnu, un étranger, un naufragé, pour que les gens de Ninive la détruisissent entièrement, la fissent disparaître, au point de mériter d’entendre cette parole : Car Dieu a vu qu’ils s’étaient convertis en quittant leur mauvaise voie, et la compassion qu’il eut d’eux l’empêcha de leur envoyer les maux qu’il avait résolus de leur faire. Comprenez-vous, que l’homme tempérant, vigilant, non-seulement ne souffre aucun mal de la part des autres hommes, mais, de plus, qu’il détourne la colère divine ! Comprenez-vous en même temps que celui qui se trahit lui-même, qui se fait du mal à lui-même, a beau recevoir des bienfaits sans nombre, qu’il en tire peu de profit ? Ainsi, ni tant de prodiges ne servirent aux Juifs, ni les autres n’eurent à se plaindre de n’avoir eu aucune part à ces bienfaits. Les Ninivites étaient naturellement généreux et bons ; voilà pourquoi il leur suffit d’un moment si court pour devenir meilleure, quoiqu’ils fussent des barbares, des étrangers, quoiqu’ils n’eussent rien entendu des divins oracles, qu’un si grand espace les séparât de la Palestine ?
15. Que dirons-nous, répondez-moi, de ces trois jeunes hommes, si fameux ? Leur vertu a-t-elle souffert des maux qui fondirent sur eux ? N’est-il pas vrai que jeunes encore, tout à fait : jeunes ils subirent prématurément un douloureux supplice, la captivité, le long exil, loin de leur patrie, de leurs maisons, de leur temple ? Autel, sacrifice, offrande, libations, psaumes chantés en commun, une fois sur la terre étrangère, ils avaient tout perdu. Ils ne durent pas renoncer seulement à leurs maisons, mais à combien de pratiques du culte divin ? Ne savez-vous pas qu’ils furent livrés à des barbares qui étaient plutôt des loups que des hommes ? Et, ce qu’il y a de plus terrible, c’est qu’ils étaient relégués loin de la patrie, sur une terre barbare, réduits à la plus cruelle servitude, qu’ils n’avaient ni maître pour les instruire, ni prophète, ni prince. Il n’y a, dit l’Écriture, ni prince, ni prophète, ni chef, ni moyens de sacrifier devant toi et, d’obtenir miséricorde. (Dan. 3,38) Ce n’est pas tout, on les conduisit dans le palais comme sur une hauteur bordée de précipices, comme sur une mer remplie de rochers qui se cachent sous les flots ; et sans pilote, sans matelots, sans voiles, ils furent forcés de naviguer sur cette mer dangereuse. Ils étaient comme dans une prison, au milieu de ce palais. Instruits clans la sagesse, supérieurs aux choses de ce monde, foulant aux pieds tout le faste des hommes, ces anges aux ailes légères, regardaient comme un surcroît de malheur de résider dans ce séjour. En effet, s’ils n’y eussent pas été renfermés, s’ils eussent habité une maison particulière, ils auraient joui d’une liberté plus grande ; mais, dans cette prison (car cette splendeur, toute cette magnificence ne leur semblait pas moins à craindre qu’une prison, que des précipices, que des écueils), ils surent bien tout de suite résister à de si grands dangers. Le roi leur commanda de s’asseoir à sa table voluptueuse, ce qui leur était interdit et leur paraissait profane, impure, plus funeste que la mort ; et seuls ils demeuraient comme des agneaux au milieu d’une bande de loups. Il fallait bien se laisser ronger par la faim, il fallait mourir, ou consentir à goûter des mets défendus. Eh bien ! que font-ils, ces jeunes gens, ces orphelins, ces captifs, ces étrangers, ces esclaves de ceux qui leur donnent de pareils ordres ? ils ne pensèrent pas à se faire une excuse, ni de la nécessité, ni de l’autorité du tyran qui dominait la ville. Tous leurs efforts, toutes leurs tentatives étaient pour se soustraire au péché, quoiqu’ils fussent abandonnés de tous. Ils ne pouvaient corrompre des hommes par argent, étant de pauvres captifs. Ils n’avaient ni confidents, ni amis ; c’étaient des étrangers. Ils ne pouvaient prévaloir par la puissance, c’étaient des esclaves ; prévaloir par le nombre, ils