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ce pauvre, si complètement pauvre, étendu par terre, accablé de maux, ne jouissait pas même des miettes de cette table somptueuse, quoique ces miettes eussent comblé ses désirs : eh bien ! malgré cela, la vertu de Lazare ne subit aucun dommage, jamais il ne fit entendre une parole amère, un blasphème.
Comme on voit, au sein dune flamme ardente, l’or purifié devenir plus brillant, ainsi, cet infortuné ; dans ce tourbillon de souffrances, était plus fort que toutes ces souffrances, plus fort que le bouleversement où les souffrances jettent la plupart des hommes. S’il suffit aux pauvres de voir des riches pour sécher de jalousie, pour se sentir consumés par l’envie, pour trouver l’existence insupportable, et cela, quand ils ont la nourriture nécessaire, et même des gens qui les soignent, que dirons-nous de ce pauvre, pauvre comme on ne le fut jamais, et non-seulement pauvre, mais malade, sans personne pour l’assister ou le consoler, qui se voyait au milieu de la ville comme dans une solitude profonde, qui se sentait rongé par la faim la plus cruelle, et qui contemplait ce riche inondé de tous les biens, qui semblaient jaillir pour lui comme de sources abondantes ; tandis que l’infortuné, dépourvu de toute consolation humaine, était comme une table continuellement servie pour les chiens qui venaient lécher ses plaies (car il était tellement perclus, paralysé de tous les membres, qu’il n’avait pas même la force de les écarter) quels pénibles sentiments n’auraient pas troublé son âme, si elle n’eût été fortement trempée dans le courage de la sagesse ? Voyez-vous bien qu !'à celui qui, ne se nuit pas à lui-même, quand l’univers entier chercherait à fui nuire, il n’arrive aucun mal, car je veux reprendre la même pensée.
11. Car, voyez donc, en quoi la maladie, en quoi le manque d’assistance, en quoi ces chiens toujours près de lui, en quoi ce mauvais voisinage du riche, en quoi le faste et le luxe et l’arrogance de ce superbe ont-ils été nuisibles à la vertu de cet athlète ? Ces circonstances l’ont-elles énervé, rendu moins vigoureux pour les combats de la vertu ? Qu’y a-t-il dans ces épreuves qui ait ruiné sa constance ? rien, non, rien jamais. Au contraire, ces maux l’ont fortifié, lui ont été une occasion de conquérir mille couronnes. Il y a gagné un surcroît de récompenses ; un redoublement de salaire ; une moisson de gloire et de rémunération est sortie pour lui de ces maux sans nombre, de la cruauté de ce riche. Et en effet, s’il a été couronné, ce n’est pas seulement pour avoir en duré la faim, la douleur de ses blessures, la.; langue des chiens ; voici son plus beau titre de gloire : en dépit de ce riche dont chaque jour il subissait les regards, regards abaissée avec un continuel dédain, il supporta noblement, avec une constance ; inébranlable, cette épreuve qui, s’ajoutant à l’irritation de la pauvreté, de la maladie, de l’abandon, devenait pour lui comme une nouvelle flamme qui le brûlait avec la plus pénétrante vivacité.
Et que pensez-vous du bienheureux Paul ? répondez-moi, car rien n’empêche de rappeler : encore son souvenir. N’a-t-il pas supporté mille et mille douleurs, tombant sur lui comme la neige ? Eh bien ! quel mal en a-t-il éprouvé ? n’en a-t-il pas recueilli, au contraire, de plus grandes couronnes, pour avoir supporté la faim, le froid, la nudité, les nombreux coups de verges qui le déchiraient, les pierres qui le meurtrissaient ; pour avoir été plongé dans la mer.? Mais aussi, me dira-t-on, c’était l’illustre Paul, et le Christ l’avait appelé. Mais Judas aussi était un des douze, et lui aussi, le Christ l’avait appelé ; mais ni le privilège d’appartenir aux douze, ni sa vocation ne lui servirent de rien, parce que son âme n’était pas préparée à la vertu. Au contraire, Paul luttant contre la faim, manquant des aliments nécessaires, endurant chaque jour tant de maux, courait plein d’allégresse sur la route qui con, duit au ciel. Judas, appelé avant Paul, Judas qui jouit des mêmes privilèges que Paul à reçus après lui ; qui fut initié à la sagesse suprême ; qui s’assit à la table sacrée ; qui assista à cette redoutable cène ; après avoir reçu le pouvoir de ressusciter les morts, de purifier les lépreux, de chasser les démons ; après tant de discours entendus sur la pauvreté ; après avoir si longtemps conversé avec le Christ ; Judas, à qui on avait confié l’argent des pauvres, pour calmer sa passion de, l’argent(car c’était un voleur), Judas même dans ces circonstances, ne, s’est pas amendé, quoiqu’il eût obtenu une si grande preuve d’indulgence. Le Christ savait bien en effet que c’était une âme avide ; que l’amour de l’argent le ferait périr, et non-seulement le Christ ne le punit pas ; mais, pour adoucir la plaie de son âme, pour prévenir, par un moindre mal, un mal plus grand, il lui confia encore l’argent des pauvres, afin que,