Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 4, 1864.djvu/354

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans les uns et dans les autres, l’état du corps, l’état de l’âme. N’est-il pas vrai que chez ceux qui suivent un régime ainsi modéré (n’allez pas m’opposer ce qui arrive rarement, des accidents, quelques maladies par suite de telle cause ou de telle autre ; observez ce qui arrive toujours et constamment, vous prononcerez ensuite) ; n’est-il pas vrai que, pour ceux qui pratiquent la tempérance dans le boire et le manger, le corps est vigoureux, les sens deviennent plus pénétrants, accomplissant avec une entière facilité les fonctions qui leur sont propres ? Chez les autres, au contraire, vicié par l’excès des humeurs, le corps est plus mou que la cire ; l’essaim des maladies l’assiège ; vous voyez en effet bientôt s’abattre sur eux et la goutte et un tremblement importun, et une vieillesse prématurée ; ajoutez à cela les douleurs de tête ; les tensions d’estomac, les paralysies qui les suivent ; plus d’appétit. Il faut toujours des médecins, toujours des remèdes, un traitement de tous les instants. Est-ce donc là le plaisir, répondez-moi ? Je voudrais entendre la réponse d’un de ces hommes qui savent ce que c’est que le plaisir ; le plaisir se montre lorsque le désir précède, que la jouissance vient après. Mais si la jouissance manque ; si le désir ne paraît pas, le plaisir s’évanouit. Voilà pourquoi les malades, à la vue des mets les plus recherchés qu’on leur sert, n’éprouvent que des dégoûts. Ils se récrient contre l’importun qui les force d’en goûter ; c’est qu’ils ne ressentent pas le désir, qui donne à la jouissance tout son agrément. Ce n’est pas la nourriture en elle-même, ce n’est pas le breuvage en lui-même, c’est l’appétit de l’estomac qui produit le désir, et opère le plaisir après. Voilà pourquoi un sage, qui se connaissait bien en plaisirs, et qui savait dire sur ce sujet des paroles sensées : L’âme rassasiée, dit-il, foulera aux pieds le rayon de miel (Pro. 27,7), montrant par là que ce n’est, pas dans la table mais dans la disposition de l’estomac que réside le plaisir. Voilà encore pourquoi le Prophète, passant en revue les miracles accomplis dans l’Égypte et dans le désert, dit, entre autres paroles : Il les a rassasiés du miel sorti de la pierre. (Psa. 80,17) Or on ne voit nullement que la pierre leur ait versé du miel : Qu’a-t-il donc voulu dire ? Accablés de fatigues d’un long voyage, en proie à une soif violente, les Hébreux trouvèrent tout à coup de l’eau fraîche. Leur grand plaisir fut qu’ils éprouvaient la soif ; pour exprimer la sensation délicieuse que cette eau leur causa, le Prophète la nomme du miel. Ce n’est pas que l’eau fût réellement changée en miel, mais il a voulu montrer que le plaisir, procuré par cette eau, avait toute la douceur du miel, parce que la soif tourmentait ceux qui la trouvèrent et qui en burent. S’il en est ainsi, si la contradiction est impossible même de la part de celui qui serait entièrement dépourvu de sens, n’est-il pas manifeste que c’est à la table du pauvre que s’assied le plaisir pur, le plaisir sincère et parfaitement vrai ; au contraire, à la table du riche, ce qui incommode, ce qui dégoûte, ce qui souille ? N’est-il pas vrai, comme l’a dit le Sage d’autrefois, que la douceur même devient importune ? (Pro. ibid)
9. Mais c’est l’honneur, me dira-t-on, que la richesse assure, à qui la possède, l’honneur et le pouvoir de se venger facilement de ses ennemis. Est-ce donc pour cela, répondez-moi, que la richesse vous parait désirable, digne que vous employiez toutes vos forces à. la conquérir, parce qu’elle nourrit en nous les passions les plus funestes, parce qu’elle assure, à la colère, son effet ; parce qu’elle excite, parce qu’elle stimule, parce qu’elle grossit cette fureur de gloire comme ces bulles qui se gonflent et qu’on remplit d’air ; parce qu’elle vous gonfle jusqu’au délire ? N’est-ce pas au contraire surtout pour cette raison qu’il nous faut la fuir, sans regarder en arrière, puisqu’elle introduit dans notre âme des bêtes furieuses et cruelles ; puisqu’elle nous prive de la vraie gloire, de la gloire que tous estiment ; puisqu’elle y substitue la gloire mensongère, fardée de couleurs empruntées ; puisqu’elle nous fait prendre, estimer comme vraie cette gloire mensongère qui n’a pour elle qu’une vaine apparence ? Les courtisanes chargées de couleurs et de peinture, se font, de leur laideur une beauté, et cette laideur, cette difformité, trompant les yeux, se fait passer pour cette beauté même qui n’a rien avec elle de commun. Ainsi fait la richesse, prétendant que les adulations constituent l’honneur. Ne considérez pas ce qui se montre, les éloges qu’inspire la crainte, que dictent les flatteries, ce sont des couleurs et de la peinture. Ouvrez le cœur de chacun de ceux qui vous flattent ; que trouverez-vous à l’intérieur ? des accusations sans fin, des milliers