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âmes, attachées à la chair, qui se plaisent dans le tourbillon du monde, qui s’enivrent des choses présentes, ne consentiront pas à perdre ces fleurs si vite flétries (telles sont les joies de la vie sur cette terre) ; les hommes ne renoncent pas à ces ombres ; au contraire, les plus honnêtes s’attachent, de toutes leurs forces, et aux biens véritables et aux prétendus biens ; les malheureux, les infortunés, possèdent la meilleure part du bonheur réel, la plus faible du bonheur mensonger.
Arrachons donc les masques brillants, éclatants, et faisons voir la honteuse et hideuse réalité. Montrons l’infamie de la courtisane. J’appelle de ce nom la vie qui se livre aux délices, aux richesses, aux séductions de la puissance ; honteuse, hideuse, infâme ; pleine de dégoûts, de peines et d’amertumes. Voici, en effet, ce qui ôte toute excuse à ceux qui se laissent prendre aux attraits, de cette vie ; c’est que, malgré ces dégoûts, malgré son amertume, elle leur paraît désirable, et qu’ils la chérissent, quels qu’en soient les maux infinis, les dangers, les flots de sang qui la rougissent ; les précipices, les écueils, les meurtres, les angoisses et les terreurs, et la haine, et l’envie qui l’escorte, et les perfidies, et les soucis, et les inquiétudes sans fin ; quoiqu’elle ne présente aucun gain ; quoiqu’elle ne produise aucun fruit de tant de douleurs, si ce n’est les châtiments, les supplices, les tourments éternels. Oui, cette vie, telle qu’elle est, paraît enviable au grand nombre, désirable au prix de tous les combats, ce qui résulte de la démence de l’âme ainsi captive, et non de la réalité du bonheur. Voyez les petits enfants, attachés à leurs jeux qu’ils chérissent et qu’ils admirent ; ils ne peuvent pas comprendre les affaires qui conviennent à l’âge mûr ; mais on peut au moins pardonner aux enfants ; leurs erreurs sont de leur âge. Au contraire, les insensés dont je parle, sont dépourvus de toute excuse possible. Parvenus à l’âge mûr, ils ont des pensées puériles, et la simplicité des enfants n’égale pas leur démence.
Car enfin pourquoi faut-il rechercher la richesse répondez-moi ? Telle doit être en effet notre première étude, puisque la santé, la vie, la considération auprès du peuple, une bonne réputation ; patrie, amis, parents, tout semble moins précieux que les richesses à la plupart de ceux que tient cette grave maladie : l’avarice.
Voyez ce bûcher qui monte jusqu’aux nues, cette fournaise qui enferme et embrase et la terre et la mer. Pour éteindre cette flamme, personne. Pour activer le feu, tous les hommes ; tant ceux que la flamme a déjà pris, que ceux qu’elle n’a pas pris encore, et qui veulent se faire prendre. Et vous pouvez voir les hommes et les femmes, les serviteurs, les personnes libres, les pauvres, les riches, chacun dans la mesure de ses forces, apportant sa charge, alimenter jour et nuit cette flamme immense : charge, non de bois ni de fascines (cette flamme n’est pas de nature à s’alimenter ainsi) ; mais d’âmes et de corps, d’injustices et d’infractions aux lois. Voilà ce qui allume cette flamme. Les riches ne mettent jamais un terme à leur folle cupidité, eussent-ils enveloppé dans leur domaine toute l’étendue de la terre. Les pauvres s’empressent d’aller plus loin que les riches ; et cette rage incurable, cette fureur effrénée, cette maladie qui défie les remèdes, a saisi toutes tes âmes. Et cet amour, victorieux de tout autre amour, chasse de l’âme tout autre désir. Et il n’y a plus ni amitié ni parenté ; et à quoi bon parler d’amitié et de parenté ? Il n’y a plus ni épouse ni enfants. Quel bien pourtant est plus désirable l Tout a été jeté par terre, foulé aux pieds par la cruelle et sauvage souveraine qui domine en tyran dans toutes les âmes captives. En effet, comme une reine qui n’a plus rien de l’âme humaine, comme un tyran féroce, comme un barbare cruel, comme une courtisane banale et magnifique, elle déshonore, elle épuise, elle expose à mille dangers, à mille tortures lés insensés qui ont pris le parti de s’assujettir à son service.
Elle est redoutable ; elle n’a aucune douceur ; elle est farouche et féroce ; son visage marque la cruauté ; c’est le visage d’une bête fauve, plus cruelle qu’un loup, qu’un lion ; et cependant elle paraît affable, désirable, plus douce que le miel à ses captifs. Ce n’est pas tout, elle forge contre eux chaque jour, des épées, toute espèce d’armes ; elle creuse des précipices ; elle les pousse contre les écueils, dans les abîmes ; elle tisse les mille filets des tortures ; et elle paraît enviable à ceux qu’elle a pris, à ceux qui désirent d’être pris par elle. Et comme on voit, dans un cloaque, dans la boue, le porc se vautrer avec une volupté délicieuse ; ou comme on voit les scarabées séjourner sur le fumier qu’ils ne quittent jamais, ainsi ceux que l’avarice possède, sont plus misérables que ces