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la vérité. Que font les juges assis pour décider des affaires du siècle ? Ils ont beau voir celui qui parle le premier, dans le mouvement impétueux qui l’emporte, inonder tout des flots de son éloquence, ce n’est qu’après avoir écouté patiemment la réponse de l’adversaire, qu’ils osent porter leur jugement ; le premier aurait beau paraître avoir mille fois pour lui la justice, ils conservent à son contradicteur toute l’intégrité de leur attention. Telle est en effet la vertu qu’on exige des juges, écouter avec une rigoureuse attention les deux parties, et n’introduire qu’après le jugement qui leur est propre. Eh bien donc ! nous avons aujourd’hui, comme une manière d’orateur parlant le premier, ce préjugé vulgaire, et depuis longtemps enraciné dans une foule d’esprits, qui adresse son discours à la terre entière : Tout, s’écrie-t-il, n’est que bouleversement, confusion partout dans le genre humain, chaque jour, en nombre prodigieux, les injustices, les outrages, les violences, les faibles écrasés par les forts ; les pauvres par les riches ; et pas plus que les flots de la mer, l’on ne peut compter les trames perfides, les injustices, les douleurs de l’humanité ; les lois ne corrigent rien ; la crainte des jugements n’arrête rien, rien ne triomphe de cette maladie, de cette peste ; de jour en jour, au contraire, le fléau s’étend ; partout les lamentations, les gémissements, les larmes des opprimés ; et ceux qui ont pour mission de remédier au désordre, irritent la tempêté, et font durer la maladie. Conséquences d’un tel spectacle, nombre d’insensés, d’infortunés se laissent prendre d’un nouveau délire ; ils accusent la providence de Dieu, parce qu’ils voient, à chaque instant, l’homme sage et vertueux, blessé, déchiré, étouffé, tandis que le scélérat qui ne craint rien, l’infâme issu de parents infâmes, s’enrichit, se revêt du pouvoir, devient redoutable en grand nombre, cause à ceux qui valent bien mieux que lui, mille affreuses douleurs, soumettant à son audace, et les villes, et les provinces, et les déserts, et les continents, et la mer. De là la nécessité de ce discours pour réfuter ce que vous venez d’entendre, pour livrer un combat étrange, comme je l’ai dit en commençant, étrange, incroyable, mais utile, fondé sur la vérité, profitable à l’auditeur attentif et docile ; ce discours se propose de démontrer (écoutez sans trouble), que personne, parmi les victimes de l’injustice, n’est victime de l’injustice d’autrui, mais de sa propre injustice.
2. Pour plus de clarté, voyons d’abord qu’est-ce que l’injustice, quels en sont les éléments ? qu’est-ce enfin que la vertu de l’homme ? le nuisible à la vertu qu’est-ce ? et encore qu’est-ce qui semble lui être nuisible, mais ne lui est pas nuisible en réalité ? Par exemple (des exemples sont nécessaires pour que notre discours, ait tout son développement), chaque chose a ce qui lui est nuisible : pour le fer, la rouille ; les vers, pour la laine ; pour les troupeaux de brebis, les loups. Le vin éprouve un dommage par la décomposition qui l’aigrit ; ce qui est nuisible au miel, c’est de perdre sa naturelle douceur, et de dégénérer en une liqueur amère. Pour les blés, pour les moissons, ce qui leur nuit, c’est la nielle, c’est la sécheresse ; le raisin, les pampres et les sarments sont dévastés par les années de sauterelles ; d’autres végétaux, par les chenilles ; les corps, qui n’ont pas la raison en partage, par la diversité des maladies ; nous ne ferons pas une revue complète qui allongerait ce discours, mais voyez, pour notre chair, le nuisible, ce sont les fièvres, les paralysies, l’essaim des autres maladies. Eh bien ! De même que chacun de ces objets a ce qui ruine sa vertu particulière, voyons, examinons ce qui est nuisible à notre espèce, à l’homme ; qu’est-ce enfin qui ruine la vertu de l’homme ? Le grand nombre s’arrête ; à des causes que nous n’admettons pas. Il en faut bien parler, exposer les opinions fausses, les écarter ; c’est ainsi que nous mettrons en lumière le mal réel qui nuit à la vertu en nous ; que nous démontrerons jusqu’à l’évidence, que personne ne peut nous faire éprouver de dommage, ni causer notre ruine, si nous ne nous trahissons pas nous-mêmes.
Ainsi donc le grand nombre, dans l’égarement de ses pensées, attribue à des causes étrangères la ruine de la vertu dans l’homme ; les uns disent, pauvreté ; les autres maladies ; d’outres perte d’argent ; d’autres calomnie ; il en est qui disent, la mort, et ce sont des gémissements, des lamentations sans fin : et l’on s’apitoie, et l’on pleure sur les victimes, et l’on est frappé d’étonnement, et l’on se dit, les uns aux autres : Quel désastre a éprouvé un tel ! tout à coup, il a perdu toute sa fortune. Mitre discours maintenant d’un autre au sujet d’un autre : un tel atteint d’une maladie dangereuse a été condamné par les médecins qui l’ont vu. Celui-ci plaint les prisonniers,