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avec trop d’amour aux biens présents, l’absence de ces biens ne sera pas pour vous une amère douleur. Si vous habituez votre âme à l’attente des contraires, il arrivera souvent que les contraires ne se montreront pas, et supposé même qu’ils se montrent, il arrivera que vous n’en serez pas fortement troublés.
5. Et pour vous convaincre que je ne parle pas ici par conjecture, je vous veux raconter une vieille histoire. Il y avait un homme admirable, grand, célébré par toute la terre, un homme heureux, Job, l’athlète de la piété, le vainqueur couronné, connu de tous les peuples, qui avait livré toute espèce de combats, érigé des milliers de trophées pour ses victoires sur le démon. Il fut riche, et – pauvre ; couvert de gloire et méprisé ; père d’innombrables enfants, privé de tous ses enfants ; il fut admis dans les palais des rois, il fut gisant sur le fumier ; il porta une robe éclatante, et ensuite il porta sur lui la vermine qui rongeait ses chairs ; il eut des serviteurs innombrables, et ensuite, il lui fallut supporter d’innombrables outragés de la part des gens de sa maison soulevés contre lui, de la part de ses amis qui lui adressaient des insultes, de la part de son épouse aux discours insidieux. Tous les biens d’abord affluaient auprès de lui, comme épanchés d’une source heureuse, l’abondance des richesses, la grandeur de la puissance, l’éclat de la gloire, la paix, la sécurité, les honneurs, les services empressés, la santé du corps, un beau peuple d’enfants, et il n’y avait rien, au milieu de tout cela, pour la douleur ; la richesse paraissait là établie sur un fondement solide, le bonheur, semblait inébranlable, et à juste titre, car Dieu l’avait fortifié de toutes parts. Mais ensuite tout s’écroula, et d’innombrables fléaux envahirent sa demeure ; et tous successivement et continuellement ; et tous, sans exception, dépassant toute mesure. Car tous ses biens, d’un seul coup, lui furent ravis ; les gens de sa maison, ses enfants, tous à la fois périrent violemment avant le temps, à la table où ils étaient assis, au milieu du même festin, victimes non du poignard, non du glaive, mais de l’esprit marnais qui renversa la maison. Alors son épouse s’arma, fit mouvoir contre le juste toutes les machines d’une guerre impie ; et ses serviteurs, et ses amis, les uns lui crachèrent au visage, comme il le dit lui-même, ils n’ont pas craint de me cracher au visage (Job. 30,10) ; les autres s’élancèrent sur lui, et le jetèrent hors de sa maison, au loin, et dès ce moment il traîna sa vie sur le fumier, et les vers jaillirent de ses chairs, et sur tous ses membres, l’humeur mêlée de sang coula de cet homme qui était un diamant précieux, et avec un tesson il enlevait l’écoulement impur, et il était lui-même son propre bourreau ; c’étaient douleurs sur douleurs, insupportables torturés, la nuit plus cruelle que le jour, le jour plus épouvantable que la nuit, comme il le dit lui-même : Si je m’endors, je dis, à quand le soir ? quand je me lève, je dis, au contraire, à quand le soir ? je suis rempli de douleurs depuis le soir jusqu’au matin. (Job. 7,4) Oui, tout est précipices, écueils, et personne pour consoler ; pour vous insulter, on accourt en foule. Cependant, au milieu d’une si affreuse tempête, battu par des flots qu’il était si difficile de sur porter, il conserva la générosité de son âme, il demeura contre tous inébranlable. La cause le cette constance fut – celle que je viens d’exposer : dans la richesse, il attendait la pauvreté ; dans la santé, il attendait la maladie ; quand il se voyait le père de si nombreux enfants, il se préparait à se voir tout à coup privé de tous ses enfants. Et il sut se revêtir toujours de cette crainte, et entretenir toujours cette anxiété, connaissant bien la nature des choses humaines, réfléchissant toujours sur l’instabilité des prétendus biens. Aussi disait-il : Ce que je craignais, m’est arrivé, le danger que je redoutais, m’a rencontré. (Job. 3,25) C’est que toujours ses réflexions le portaient au-devant de ce qu’il attendait, de ce qu’il se préparait à recevoir ; ce qui fait que l’arrivée du malheur ne l’a pas troublé. Je n’ai goûté ni la paix, ni le repos, ni la quiétude, mais là colère d’en haut est venue sur moi. (Job. 3,26) Il ne dit pas au présent, je ne goûte ni la paix, ni le repos, mais, je n’ai pas goûté la paix, au temps passé. En effet, quoique la prospérité semblât me conseiller la fierté, l’attente des malheurs ne me laissait pas goûter le repos. Quoique l’abondance de tous lesbiens m’invitât à mener une vie délicieuse, l’inquiétude, compagne de l’attente, écartait loin de moi la tranquillité ; quoique la félicité présente me forçât à jouir de tues biens, le souci, la crainte de ce qui pouvait arriver, corrompait mon plaisir. C’est pourquoi, le jour où ses réflexions furent justifiées par la réalité des événements, il supporta avec courage les épreuves