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est de même de l’or qu’on renferme, qu’on enfouit ; ce sont des rugissements plus forts que ceux du lion, et des sauts en tous sens avec des menaces ; lâchez vos trésors à la lumière du jour, dispersez-les, remplissez-en les pauvres qui ont faim ; la bête féroce est maintenant une brebis ; l’embuscade est devenue un renfort ; l’écueil, un port ; le naufrage, la tranquillité ! Chacun sait ce qui arrive aux embarcations : le vaisseau trop chargé coule à fond ; si le chargement n’excède pas la mesure, le vaisseau vogue sans encombre. Eh bien ! il en est de même dans nos maisons les richesses amassées au-delà du nécessaire, c’est, au moindre souffle, au premier choc d’un hasard imprévu, le vaisseau qui coule à fond, qui sombre corps et biens ; mais si vous ne mettez en réserve que le nécessaire, narguant la tempête, vous sillonnez heureusement les flots. Cessez donc de désirer plus que le nécessaire, pour n’avoir pas à craindre de perdre tout ; n’amassez pas de superflu, de peur que vous ne perdiez le nécessaire ; ne dépassez pas les limites qui vous sont fixées, de peur que vous ne soyez dépouillés de tout à la fois ; mais retranchez le superflu, afin de devenir riche du nécessaire. Ne voyez-vous pas que les agriculteurs taillent la vigne, afin que toute sa force ne soit pas dans les feuilles, dans les branches, mais paraisse dans la racine ? Faites ainsi, de votre côté : coupez les feuilles, et tout ce que vous avez de zèle, dépensez-le pour produire des fruits. Si vous ne le voulez pas dans les jours prospères, attendez les jours du malheur ; dans la tranquillité, voyez venir la tempête ; dans la santé, pensez d’avance à la maladie ; dans la richesse, attendez la pauvreté, l’indigence. Car souvenez-vous, dit l’Ecclésiaste, de la famine dans l’abondance, de la pauvreté et de l’indigence quand vous êtes dans l’opulence. (Ecc. 18,25) Dans ces dispositions, vous administrerez votre richesse avec une sage économie, et si la pauvreté survient, vous la supporterez avec un ferme courage. Car l’imprévu tombant sur vous, vous bouleverse et vous trouble ; au contraire, l’arrivée d’un événement attendu ne cause pas de perturbation. Ce sera donc un double profit, d’éviter l’enivrement, l’insolence de la prospérité, d’éviter ainsi le bouleversement, le trouble produit par la fortune qui devient contraire, et cela surtout si toujours vous attendez les contraires ; car, à la place de l’expérience, il suffit de l’attente. Voilà donc ce que je dis : vous êtes riche ? Attendez la pauvreté chaque jour. A cause de quoi et dans quel but ? C’est que cette attente pourra vous être d’une très-grande utilité. En effet, celui qui attend la pauvreté a beau être riche, il ne s’enorgueillit ni ne se livre, soit à la mollesse, soit à la prodigalité, ni ne désire le bien d’autrui ; car la crainte qui accompagne l’attente, est comme un précepteur dont la présence modère et réprime les pensées, prévient le développement des mauvaises branches de l’avarice, et les fait disparaître, la crainte des contraires étant comme une faux qui les arrête et les coupe.
4. Voilà donc, d’un côté, un très-grand profit ; il en est un autre non moindre, qui consiste, quand la pauvreté vient, à ne pas la craindre. Ainsi, que l’attente des malheurs qui écrasent l’homme, vous servent, à en prévenir la douloureuse expérience, car ce qui fait venir l’expérience, c’est que l’attente fait défaut ; car si l’attente avait redressé, l’homme, l’expérience devenait inutile. Témoin de cette vérité, le prophète Jonas auprès des habitants de Ninive. (Jon. 3) Ceux-ci, prévenus par le prophète, s’attendant à tomber dans un malheur sans remède, grâce à cette alerte des maux qui allaient venir, détournèrent loin d’eux la colère divine ; au contraire, les Juifs, pour n’avoir pas cru au prophète qui leur prédisait la prise de Jérusalem, eurent à subir une terrible calamité. Car le sage qui a craint le mal, s’en est détourné, mais l’insensé s’y engage parce qu’il a confiance. (Pro. 14,16) Celui qui attend la pauvreté, quoiqu’il vive dans l’abondance, ne tombera pas facilement dans la pauvreté ; c’est qu’il faut que le profit que vous n’avez pas voulu retirer de l’attente, vous le retiriez tout entier de l’expérience. Donc, au sein de la richesse, attendez-la pauvreté ; quand il se trouve que vous êtes dans l’abondance, attendez la faim ; dans la gloire, attendez l’infamie ; dans la santé, la maladie. Ne cessez jamais de considérer la nature des choses humaines, qui n’a rien de plus solide que les eaux courantes ; qui s’évanouit plus vite que la fumée dans l’air ; plus vaine que l’ombre qui payse et disparaît. Si vous faites ces réflexions, ni la prospérité ne pourra gonfler vos pensées, ni l’adversité, abattre votre courage ; si vous ne vous attachez pas