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traitement pour procurer au corps sa santé ; et pour leur âme qui languit, ils n’éprouveront nul souci, ils ne feront rien pour recouvrer une santé si précieuse, quoiqu’ils sachent bien que le corps doit mourir et disparaître, qu’il est passager comme les fleurs du printemps, que comme elles il se fane, se flétrit, se corrompt ; que l’âme au contraire est immortelle, qu’elle a été faite à l’image de Dieu, et que c’est elle qui a mission de gouverner ce corps animal. Ce qu’est le cocher au char, le pilote au navire, le musicien à l’instrument, le Créateur a voulu que l’âme le fût à ce corps de boue. C’est elle qui tient les rênes, qui dirige le gouvernail, qui touche les cordes, et lorsqu’elle s’acquitte bien de sa fonction, il en résulte comme un harmonieux concert de vertu ; lorsqu’au contraire elle fait vibrer les cordes ou trop faiblement ou plus fort qu’il ne faut, art et harmonie, tout disparaît. Voilà cette âme que négligent la plupart des hommes, qu’ils ne jugent pas digne d’un moment d’attention, tandis que toute leur vie sera employée à s’occuper du corps ; les uns embrassent la carrière maritime, ils vont combattre contre les flots et les tempêtes, portant partout avec eux la vie et la mort, confiant à un fragile bois à toutes les espérances de leur salut ; d’autres se vouent au pénible soin de cultiver la terre, tantôt la remuant profondément avec la charrue, tantôt l’ensemençant puis moissonnant ; tantôt plantant puis recueillant, et leur vie se passe tout entière dans ces accablants travaux. Celui-ci se livre au commerce aussi voyagera-t-il et sur terre et sur mer ; à son pays il préférera les pays étrangers, il quittera patrie, famille, amis, parents, enfants même, pour aller chercher un peu d’argent sur une terre inhospitalière. Et pourquoi énumérer les professions nombreuses que les hommes n’ont inventées que pour les besoins de leur corps dans lesquelles ils s’emploient, et le jour et la nuit pour soigner ce qu’il y a en eux de moins noble, tandis que, pour leur âme, ils la laissent abandonnée à la faim, à la soif, à la misère la plus sordide et la plus repoussante, en proie à mille maux divers ? Et après ces travaux, après toutes ces peines, ils n’y auront pas rendu supérieur à la mort leur corps mortel, mais ils auront précipité dans des supplices sans fin et le corps mortel et l’âme immortelle.
2. Aussi, déplorant l’aveuglement qui s’est emparé de ces hommes, je voudrais, pour dissiper les ténèbres épaisses qui les entourent, m’élever en un lieu d’où j’apercevrais toutes les générations des hommes, je voudrais être doué d’une voix qui pénétrât jusqu’aux extrémités de la terre, d’une voix qui se fit entendre de tous, pour proclamer et faire retentir partout cette parole de David : Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le cœur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité, recherchez-vous le mensonge (Ps. 4,3), et préférez-vous aux choses célestes les choses qui passent ? Jusques à quand aurez-vous les yeux fermés et les oreilles closes pour ne pas entendre cette voix qui vous crie chaque jour : Demandez et il vous sera donné ; cherchez et vous trouverez ; frappez et il vous sera ouvert ; car quiconque demande reçoit ; et qui cherche trouve, et à qui frappe il sera ouvert ? (Mt. 7,7-8) Mais comme il y en a qui mènent une vie imparfaite, se précipitent vers les choses du temps, se plaisent dans les pensées de la chair, ne savent pas prier convenablement, notre commun Maître a voulu enseigner la manière de prier, disant : Quand vous prierez, ne parlez pas beaucoup comme les païens ; ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. (Mt. 6,7) Il veut empêcher cette abondance qui se répand en paroles et qui ne sert à rien.
Par ce flux d’inutiles paroles qu’il défend, le Seigneur nous donne à entendre que dans la prière il ne faut pas demander les choses passagères et périssables. Ne demandez donc pas la beauté du corps que le temps flétrit, que la maladie enlève, que la mort fait disparaître car telle est la beauté du corps. C’est une fleur éphémère, qui paraît dans le printemps de la jeunesse et qui bientôt se fane sous l’action du temps. Et si vous voulez voir ce qui la soutient, vous aurez bientôt appris à la mépriser C’est l’humeur, le sang, le suc de la nourriture que nous avons prise : voilà ce qui circule dans les yeux, les joues, le nez, le front, les lèvres, en un mot dans le corps tout entier, et sucette circulation disparaît, la beauté du visage disparaît aussi. Ne demandez pas l’abondance des richesses, des richesses qui, comme les eaux d’un fleuve, s’écoulent et s’enfuient, qui passent tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là, qui échappent à leurs possesseurs, qui ne peuvent rester à ceux qui les aiment, qui amènent avec elles des envieux, des voleurs,