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HOMÉLIES SUR LA DISGRÂCE D’EUTROPE.


PREMIÈRE HOMÉLIE.


AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

L’eunuque Eutrope, homme de la plus basse extraction et sans aucun mérite réel, à force d’intrigues et de souplesse, était devenu tout-puissant auprès de l’empereur Arcadius, qui l’avait comblé d’honneurs et de richesses, et qui même venait de l’élever au consulat. Abusant de son crédit, il avait vexé le peuple et persécuté l’église ; entre autres lois injustes, il en avait porté une pour abolir le droit d’asile dont jouissaient alors les temples. Il trouva dans saint Jean Chrysostome une âme ferme qui s’opposa à toutes ses entreprises, qui le reprit avec force de tous les abus qu’il faisait de son pouvoir, et qui lui représenta avec sincérité les périls que lui faisaient courir les excès auxquels il se livrait. Tout le peuple et tous les soldats auxquels se joignit l’impératrice, demandèrent à grands cris la déposition de cet odieux ministre, à l’empereur, qui, honteux lui-même de sa faiblesse, et ouvrant enfin les yeux, lui fit donner ordre de sortir sur-le-champ de la cour, avec défense d’y reparaître. Abandonné du prince et chargé de la haine publique, Eutrope ne trouva de ressource que dans la pieuse générosité de saint Jean Chrysostome qu’il avait souvent maltraité, et dans l’asile sacré des autels qu’il s’était efforcé d’abolir, et où il se réfugia dans sa disgrâce. L’empereur envoie plusieurs de ses gardes pour l’en arracher par force ; Chrysostome s’oppose à leur violence, il défend un ennemi mortel dont il s’était attiré la haine par sa vertu, et obtient du prince qu’Eutrope puisse demeurer en sûreté dans l’enceinte de l’église. Tous les soldats qui se trouvaient alors à Constantinople, s’assemblent aussitôt autour du palais ; ils poussent de grands cris, font retentir leurs armes, et veulent qu’on leur livre Eutrope pour en faire justice. Arcadius se présente à cette multitude mutinée ; ses ordres ne sont pas écoutés, il faut qu’il ait recours aux prières : il les conjure de respecter l’asile sacré des autels ; et ce n’est qu’à force de larmes qu’il vient à bout de calmer leur fureur. Le lendemain, jour destiné à la célébration des saints mystères, le peuple accourut en fouie pour voir humilié et abattu celui qu’il avait vu si insolent dans la prospérité. La plupart étaient animés contre lui ; ils étaient fâchés qu’on lui eût ouvert l’église, ils auraient voulu ou l’immoler eux-mêmes à leur vengeance, ou qu’on l’eût livré à la haine publique.
Saint Jean Chrysostome entreprend de les toucher et de les attendrir en faveur de ce malheureux, de faire succéder dans leur âme les sentiments de la douceur et de la compassion à ceux de l’indignation, et de la haine, et de les engager même à demander sa grâce à l’empereur. Sans chercher à justifier Eutrope, il montre dans sa personne un exemple frappant de l’instabilité des grandeurs humaines et de la fragilité des biens de ce siècle, et il le montre d’une manière si vive et si touchante, il mêle avec tant d’art les divers mouvements dont il fait usage, qu’il change absolument la disposition de son auditoire et lé fait fondre en larmes. Abondance d’images, variété et gradation de sentiments, richesse de pensées et d’idées douces et simples, grandes et sublimes ; voilà ce que nous offre l’homélie sur la disgrâce d’Eutrope, un des plus beaux discours, sans douté, qui nous soient venus de l’antiquité.
On pourra être choqué dans ce discours des paroles un peu dures que l’orateur lance contre un malheureux étendu à ses pieds, et qu’il lui adresse souvent à lui-même ; mais, il ne faut pas oublier que le peuple extrêmement animé contre cet homme auquel S. Chrysostome avait donné refuge, et qu’il fallait en quelque sorte flatter d’abord le ressentiment populaire pour le calmer ensuite.
Le discours de saint Jean Chrysostome eut son effet ; il sauva pour le moment la vie d’Eutrope, qui, quelques jours après ayant eu l’imprudence de sortir de l’église pour se sauver, fut pris et banni en Chypre. On le tira de cette île pour le ramener à Chalcédoine, où on lui fit son procès, et où il fut condamné à avoir la tête tranchée.
1°- 2° Admirable amplification de ce texte : Vanité des vanités, etc. – 3° – 4° Eutrope, obligé de se réfugier dans l’église à laquelle il avait enlevé le droit d’asile. – 5° Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

1. Éternelle vérité, vérité actuelle surtout : Vanité des vanités, et tout est vanité ! (Ecc. 1,2) Où est-elle maintenant la pompe brillante du consulat ? où sont les splendides lumières ? Où sont, et les applaudissements, et, les chœurs, et les banquets, et les fêtes ? où sont les couronnes et les draperies ? et le bruyant frémissement de la ville ; et, avec les courses du cirque, les acclamations triomphantes ; et, avec les spectateurs, leurs flatteries ? De toutes ces joies, plus rien : le vent, d’un souffle, a jeté sur la terre tout le feuillage, nous a montré l’arbre nu, ébranlé jusqu’à la racine ; car tel a été le choc de la tempête, qu’elle menace d’arracher jusqu’à la racine de l’arbre, maintenant qu’elle a brisé tous les liens qui l’attachaient à la terre. Où sont-ils maintenant les amis fardés ? où sont-ils ceux qui se rassemblent autour des coupes, autour, des tables ? où est-il l’essaim des parasites ? et le vin sans mélange, versé tant que le jour dure ; et les cuisiniers industrieux, et les courtisans de l’homme puissant, concertant pour lui plaire toutes leurs actions, tous leurs discours ? C’était la nuit que tout cela, un songe ; le jour a paru, évanouissement ! c’étaient des fleurs du printemps ; le printemps passé, tout s’est flétri ; c’était une ombre, et l’ombre a disparu ; c’était un fruit qui s’est gâté ; c’étaient des bulles d’air qui n’ont pu tenir ; c’était une araignée, on a marché dessus. C’est pourquoi nous répétons cette parole de l’Esprit-Saint, sans nous lasser de la redire : Vanité des vanités, et tout est vanité ! Car, cette parole, il faut l’inscrire, et sur les murs, et sur les vêtements, et dans la place publique, et dans les maisons, et dans les rues, et sur les portes, et dans les vestibules ; et surtout, et toujours, c’est dans la conscience de chacun de nous, qu’il la faut incruster, pour la méditer sans relâche. Puisque les affaires, qui ne sont que tromperie, et les visages qu’hypocrisie et mensonge, paraissent aux yeux du grand nombre la vérité, cette parole, il n’est pas de jour qu’il ne soit nécessaire de la faire entendre ; au moment du dîner, au moment du souper, dans tous les entretiens, chacun doit dire à son voisin, et, en même temps, le voisin doit dire Vanité des vanités, et tout est vanité ! Me suis-je lassé de te répéter, que l’or est un esclave fugitif ? Mais, toi, tu ne voulais pas nous écouter. Ne te disais-je pas que c’est un domestique ingrat ? Mais, toi, tu ne voulais rien entendre. Et voici que les affaires, l’expérience te montrent que ce n’est pas seulement un fugitif, un ingrat, mais, de plus, un meurtrier : car c’est ton or, c’est lui qui fait maintenant que tu trembles et que tu as peur. Ne te disais-je pas, quand tes reproches continuels s’indignaient de ma