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vécu au milieu de toutes ces infamies, a pu les réparer avec quelques mots seulement, et recevoir même plus qu’il n’avait demandé. Car, il avait dit : Soyez propice à un pécheur comme moi, et Dieu non seulement lui a été propice, mais l’a justifié plus que le pharisien. Aussi, Paul dit-il : Il peut tout faire de manière à dépasser nos prières et nos pensées. (Eph. 3,20) Cependant, le pharisien avait prié, il s’était tenu dans le temple, il avait invoqué le même Dieu, il avait dit plus de paroles et commencé sa prière par une action de grâces. D’où vient, cependant, qu’il a perdu les biens qu’il possédait, tandis que l’autre a obtenu la grâce qui lui manquait ? C’est que la manière de prier n’était pas la même. L’une des prières était pleine d’arrogance, de faste et d’orgueil, l’autre de franchise. Ainsi celui qui succombait sous le poids d’innombrables péchés, s’en est vu complètement délivré ; celui qui arrivait avec un navire chargé de bonnes actions, d’aumônes, de jeûnes ; se brisant sur l’écueil de l’orgueil et de la vaine gloire a fait naufrage dans le port : car se perdre par une prière c’est échouer au port. Cependant cela n’arrive point par la nature de la prière, mais par la faute, de notre volonté.
2. Vous voyez donc que pour notre salut la prière ne suffit pas, mais encore qu’il faut prier suivant les lois que le Christ a établies. Or, quelles lois a-t-il établies ? De prier pour nos ennemis, même pour ceux qui nous affligent le plus. Faute de le faire, nous nous perdons entièrement, comme le prouve l’exemple du pharisien. Eh bien ! si cet homme, qui n’avait point prié contre ses ennemis, mais qui n’était coupable que de vanité, a été ainsi puni, quel supplice attend ceux qui ne tarissent pas lorsqu’ils parlent contre leurs ennemis ! Que fais-tu donc, mon ami ? Tu viens pour demander pardon de tes péchés et tan âme est pleine de colère ? Lorsque nous devrions être plus doux que jamais, puisque nous parlons au Seigneur, que nous implorons pour nos péchés sa miséricorde, sa clémence et son pardon, c’est alors que nous nous irritons, que nous ressemblons à une bête furieuse, et que notre bouche se remplit de fiel ? Et comment pourrons-nous, dis-moi, obtenir notre salut si, tout en prenant une attitude suppliante, nous proférons des paroles insensées, et si nous irritons le Seigneur contre nous ? Tu es venu pour guérir tes blessures et non pour envenimer celles de ton prochain : c’est le moment de l’expiation, de la prière et des gémissements, non celui de la colère ; celui des larmes, et non de la fureur ; celui de la componction et non de l’indignation. Pourquoi tout bouleverser ? pourquoi te faire la guerre à toi-même ? pourquoi détruire ta propre maison ? L’homme qui prie doit avant tout avoir l’âme adoucie, l’esprit apaisé, le cœur contrit : mais celui qui crie contre ses ennemis, ne retirera aucun fruit de sa prière ; il ne pourra jamais s’y appliquer avec le calme nécessaire.
Ainsi nous ne devons pas prier contre nos ennemis, mais nous ne devons pas non plus nous souvenir de nos bonnes actions, de peur qu’il ne nous arrive la même chose qu’au pharisien. Car s’il est bon de nous rappeler nos péchés, il n’est pas moins bon d’oublier nos bonnes actions. Pourquoi cela ? Parce que le souvenir de nos bonnes actions nous entraîne à l’orgueil, tandis que le souvenir de nos péchés nous inspire le mépris de nous-mêmes et l’humilité : ainsi l’un nous rend plus négligents et l’autre plus diligents. Car ceux qui pensent n’avoir aucun bien, deviennent plus actifs pour en acquérir : ceux qui croient posséder beaucoup se fient à leur richesse, ne montrent guère d’empressement pour en acquérir davantage.
3. Oubliez donc vos bonnes actions afin que Dieu s’en souvienne. Il dit, en effet : Confesse le premier tes fautes, afin que tu sois justifié. (Isa. 40,3,26) ; et aussi : J’oublierai tes fautes, mais ne les oublie pas (Id).
Mais pourquoi Dieu a-t-il exaucé si promptement le publicain, tandis qu’il a laissé Isaac le prier pendant vingt ans et l’implorer pour son épouse, et que seulement alors il a exaucé les prières de ce juste ? Il faut ici que je complète l’instruction que je vous ai donnée hier. Pourquoi., dis-je, cela s’est-il passé ainsi ? Afin que l’exemple du publicain montre la bonté du Seigneur si prompt à exaucer, et que celui d’Isaac fasse voir la patience du serviteur dont la satisfaction est tardive, mais qui ne cesse de prier : afin que le pécheur ne désespère pas et que le juste ne se glorifie pas. Ce ne sont pas les personnes bien portantes, mais les malades qui ont besoin de médecin. (Mat. 9, 12) Le publicain était malade, aussi Dieu s’est empressé de lui tendre la main : Isaac était plus affermi, aussi Dieu a semblé l’abandonner