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audace sous les yeux d’un prince de ce monde ; quand vos bonnes œuvres ne se pourraient compter, il vous fera aussitôt conduire à la mort. Comment ! vous n’osez pas, en présence d’un magistrat, outrager votre égal ; et vous qui faites cela, en présence de Dieu, dites-moi, vous ne frissonnez pas, et c’est sans crainte que vous prenez précisément le temps de l’oraison et des prières, pour vous abandonner à cette fureur, à ce délire, pour vous montrer plus pervers que celui qui réclamait les cent deniers ? Oui, plus pervers, plus violent ; en voulez-vous la preuve, écoutez. Un serviteur devait dix mille talents à ion maître ; il ne pouvait pas les lui rendre ; il pria son maître de patienter, de ne pas vendre sa femme, sa maison, ses enfants, pour éteindre la dette. (Mt. 18,24 et suiv) Le maître fut touché de ses gémissements, et lui remit les dix mille talents. Ce serviteur sortit, et en rencontra un autre, qui lui devait, à lui-même, cent deniers ; il le prit à la gorge, et tes##Rem, lui réclama avec une cruauté barbare. Le maître, informé de cette conduite, le fit jeter en prison, et cette dette des dix mille talents qu’il lui avait remise, il l’exigea de nouveau, et cet homme cruel fut ainsi puni de sa rigueur barbare envers son compagnon.
12. Mais vous, voyez donc combien vous êtes plus insensés encore, et plus dépourvus de tout sentiment, quand vous priez contre vos ennemis. Cet homme ne demandait pas à son maître de réclamer, il réclamait lui-même les cent deniers ; vous, au contraire, vous invoquez le Seigneur, pour cette réclamation impudente, impie. Cet autre, ce n’était pas sous les yeux de son maître, mais, hors de ses regards, qu’il étouffait son compagnon ; vous, an contraire, c’est au moment même de la prière, c’est en la présence de votre roi ; que vous commettez une pareille action. Et maintenant, si cet homme qui n’avait pas prié son maître de soutenir sa réclamation, qui l’avait faite, hors de sa présence, n’a obtenu aucun pardon ; vous, qui excitez le Seigneur à servir lui-même, votre rigueur sacrilège ; vous, qui faites, sous ses yeux, une telle action, quel châtiment n’encourrez-vous pas, répondez-moi ? Mais, à la pensée de votre ennemi, votre âme s’embrase, votre poitrine se gonfle, votre cœur se soulève, et il vous est impossible, quand vous vous rappelez le tort qu’on vous a fait, de réprimer votre colère ? À ce feu qui vous brûle, opposez le souvenir de vos fautes, et la crainte du jugement à venir. Rappelez-vous tous les comptes que vous devez au Seigneur ; les châtiments auxquels ces comptes vous exposent, et la crainte triomphera pleinement de cette colère, car c’est là une affection bien autrement puissante. Rappelez-vous la, géhenne, les peines, les supplices ; évoquez ces pensées, dans vos prières, et la pensée de votre ennemi ne vous viendra même pas. Faites-vous un cœur contrit ; humiliez votre esprit, par la conscience de vos fautes, et la colère ne pourra pas vous troubler. Mais voici la cause de tous les vices : nous relevons, avec le soin le plus rigoureux, les péchés des autres, nous ne jetons, sur les nôtres, que des regards nonchalants. C’est tout le contraire qui convient : ne jamais oublier ses fautes, ne jamais penser à celles du prochain. Si nous tenons cette conduite, nous nous rendrons Dieu favorable, nous abjurerons l’immortelle haine contre le prochain ; c’en est fait, nous n’avons plus un ennemi ; que si, parfois, peut-être, nous en, rencontrons un, vite, nous éteindrons cette haine, et nous obtiendrons, également vite, le pardon de nos propres fautes. Car, de même que celui qui garde le souvenir des injures qu’il a reçues d’autrui, s’oppose, par là, à ce qu’on lui remette les châtiments de ses fautes ; de même, qui s’affranchit de sa colère, s’affranchit également, et vite, de ses péchés. Car si nous, méchants, esclaves.de la colère, nous oublions, pour obéir au commandement de Dieu, tous les péchés commis envers nous, à plus forte raison, le Dieu qui nous aime, le Dieu de bonté, le Dieu de pureté, le Dieu qu’aucune passion ne trouble, fermera les yeux sur nos fautes, et nous récompense de notre charité envers le prochain, en nous accordant notre pardon. Puissions-nous tous l’obtenir, par la grâce, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
Traduction de M. C. PORTELETTE.