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pour courir à la Table, ainsi les Hébreux, en sortant de la mer, allèrent à un festin extraordinaire et singulier : c’est de la manne que je veux parler. Puis, de même que tu t’abreuves d’une boisson merveilleuse, le sang du Sauveur, de même ils eurent pour se désaltérer un breuvage inattendu, non l’eau des fontaines, ni celle des fleuves, mais celle qui jaillit à l’improviste et en abondance d’un aride rocher. C’est pour cela même qu’il appelle cette boisson spirituelle, non point que telle fût sa nature, mais parce que son origine la rendait telle : car ce n’est point selon l’ordre de la nature qu’elle leur fut donnée, mais bien selon la volonté toute-puissante de Dieu qui les commandait. C’est ce qu’il dit lui-même en se reprenant. Car après ces mots : Et tous burent le même breuvage spirituel, attendu que ce breuvage était de l’eau, voulant faire voir que s’il l’avait nommé spirituel, ce n’était pas à raison de sa nature, mais à raison de sa provenance, il continue en ces termes : car ils buvaient à la pierre spirituelle qui les suivait ; et cette pierre était le Christ. Il veut dire par là que ces sources n’étaient point dues à la pierre, mais au pouvoir efficace de Dieu.
5.. Par là, il extirpe en même temps l’hérésie de Paul de Samosate. Car, si le Christ était l’auteur de toutes ces choses, comment ces hommes peuvent-ils prétendre qu’il n’existait pas avant que Marie l’eût, enfanté ? En effet, si les aventures du désert ont précédé Marie, et si c’est le Christ qui y a présidé comme Paul le prétend, il existait donc avant cet enfantement, il existait avant la gestation : car, à coup sûr, s’il n’avait pas existé, il n’aurait pas opéré des miracles aussi surprenants. Ensuite, le saint auteur qui précédemment, en disant que tous ont traversé la nier, a montré dans le passé une image anticipée de la générosité de l’Église, en ajoutant plus bas : Ils ont mangé le même aliment spirituel, fait encore allusion à la même chose. En effet, ainsi que dans l’Église, il n’y a pas un corps pour le riche, un autre corps pour le pauvre, un sang pour le premier, un autre sang pour le second ; de même dans le désert, la manne du riche ne fut point autre que la manne du pauvre ; la source où but le riche ne coula point moins abondante pour le pauvre : mais, comme parmi nous, la même table, la même boisson, la même nourriture sont offertes à quiconque entre ici : de même alors, la même manne, la même source était à la disposition de tous. Il y a plus chose étonnante et incroyable ! quelques-uns des Hébreux essayèrent de recueillir plus qu’il ne leur était nécessaire, et ne gagnèrent rien à s’être montrés cupides. Tant qu’ils respectaient l’équité, la manne restait manne ; mais dès qu’ils voulurent accaparer, leur avarice transforma la manne en vers. Et pourtant cette avarice ne nuisait pas au prochain, puisqu’ils ne touchaient pas à la subsistance d’autrui pour augmenter leur provision : néanmoins, parce qu’ils avaient été insatiables, ils furent condamnés. Car, s’ils ne faisaient pas tort au prochain, ils se faisaient le plus grand tort à eux-mêmes, en s’habituant à l’avarice par la façon dont ils amassaient. Ainsi, en même temps qu’ils se nourrissaient, ils s’instruisaient dans la science divine ; en même temps qu’ils soutenaient leurs corps, leurs âmes étaient édifiées. Et non seulement la manne les nourrissait, mais encore elle les exemptait de maint labeur. Ils n’avaient besoin ni d’atteler des bœufs, ni de tirer une charrue, ni d’ouvrir des sillons, ni d’attendre une année : ils avaient leur repas sous la main, repas extraordinaire, étrange et quotidien ; l’expérience les instruisait de ce précepte évangélique, qu’il ne faut pas songer au lendemain : un tel souci n’aurait été d’aucune utilité pour eux. En effet, ce que l’on amassait par précaution se gâtait, était perdu, et tout ce qu’on gagnait à cela, c’était d’être convaincu d’avarice. Maintenant, n’allez pas croire que cette pluie fût dans l’ordre de la nature : la preuve, c’est qu’au jour du sabbat, il ne se passait rien de pareil ; Dieu voulait faire savoir en même temps aux Hébreux, et que c’était lui qui, les jours précédents, faisait tomber cette pluie étrange et miraculeuse, et qu’il cessait ce jour-là, pour leur apprendre, même par contrainte, à garder le repos le jour du sabbat.
Mais ce n’est pas seulement en ce qui concerne la nourriture, c’est encore en ce qui touche les vêtements, les chaussures et le reste, que l’on pouvait voir réalisées dans les faits les prescriptions des apôtres. En effet, les Juifs n’avaient ni maison, ni table, ni lit, ni vêtement de rechange, ni chaussure, Dieu en ayant ainsi disposé. Voyez quelle analogie entre l’Ancien et le Nouveau Testament ! Le Christ imposait aux apôtres l’obligation de se réduire au nécessaire ; telle était à peu près la manière de vivre des Juifs, et toute la création