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l’Évangéliste dit : Son maître, ému de compassion, le renvoya et lui remit sa dette; nous faisant voir qu’avec la prière et avant la prière, c’est la miséricorde du Maître qui a tout fait. Ce serviteur étant sorti rencontra un de ses compagnons qui lui devait cent deniers ; et l’ayant saisi, il l’étouffait, disant : Rends-moi ce que tu me dois. Mais que peut-il y avoir de plus infâme ? La parole du pardon retentissait encore à ses oreilles, et déjà il a oublié la miséricorde de son Maître.
7. Voyez-vous comme il est bon de se souvenir de ses péchés ? Si celui-là se les était toujours rappelés, il n’aurait pas été si cruel et si inhumain. Aussi je vous le répète continuellement et je ne cesserai de vous redire qu’il est très utile, qu’il est nécessaire que nous nous souvenions sans cesse de toutes nos iniquités rien ne rend l’âme si sage, si douce, si indulgente que le souvenir continuel de ses fautes. Aussi saint Paul se souvenait non seulement des péchés qui avaient suivi, mais encore de ceux qui avaient précédé son baptême, bien qu’ils fussent tout à fait effacés. Et si cet apôtre se souvenait même des péchés commis avant le baptême, combien plus ne devons-nous pas nous souvenir de ceux qui ont suivi notre régénération. Car, non seulement leur souvenir nous portera à en faire une plus grande pénitence, mais encore il nous donnera plus de douceur à l’égard du prochain, nous inspirera pour Dieu notre maître plus de reconnaissance, en nous remettant sans cesse devant les yeux son indicible miséricorde. C’est ce que ne fit pas ce mauvais serviteur ; mais, loin de là, oubliant la grandeur de sa dette, il oublia aussi la grandeur du bienfait ; oubliant le bienfait, il agit méchamment envers son compagnon, et cette mauvaise action lui fit perdre tout ce que lui avait accordé la miséricorde de Dieu. L’ayant saisi, il l’étouffait, disant : Rends-moi ce que tu me dois. Il ne dit pas Rends-moi cent deniers (il aurait rougi de la futilité de cette dette), mais bien : Rends-moi ce que tu me dois. Et celui-ci se jetant à ses pieds le conjurait, disant : prends patience et je te rendrai tout. Se servant des paroles mêmes qui avaient valu au méchant serviteur son pardon, il espérait bien être sauvé. Mais ce cruel, emporté par son inhumanité, restait insensible à ces paroles et ne pensait plus qu’elles l’avaient sauvé. Et pour lui cependant, pardonner, ce n’était plus de la clémence, mais une dette et une obligation. Car si ç’eût été avant la reddition des comptes, avant sa condamnation, avant cette grâce extraordinaire, qu’il eût pardonné, c’eût été un effet de sa propre générosité. Mais après avoir reçu un si grand bienfait et le pardon de tant de fautes, c’était pour lui une nécessité, c’était s’acquitter d’une dette que d’avoir pitié de son compagnon. Et pourtant il fut loin de le faire et de considérer quelle différence il y avait entre la grâce qu’il venait d’obtenir et celle qu’il aurait dû accorder à son compagnon. Cette différence ressort et de la somme due des deux parts, et de la position respective des personnages et aussi de la manière dont la chose se passe. D’un côté, c’étaient dix mille talents, et de l’autre cent deniers ; d’un côté, c’est un esclave qui agit envers son maître d’une manière outrageante, de l’autre c’est un compagnon de servitude qui a contracté une dette envers un compagnon de servitude. Traité si généreusement, le serviteur devait à son tour faire grâce ; le maître, au contraire, remit toute la dette, quoique le débiteur ne l’eût mérité par aucune bonne œuvre, grande ou petite. Mais sans réfléchir à rien de tout cela, entièrement aveuglé par sa colère, il saisit son débiteur à la gorge et le jette en prison. A cette vue les autres esclaves, ajoute l’Évangéliste, s’indignent, et avant même que le maître ait rien prononcé, ils le condamnent : preuve nouvelle de la bonté du roi. Son maître l’ayant appris le fait appeler, le soumet à un nouveau jugement, et, même en ce moment, il ne le condamne pas sans formes, mais il lui fait voir que la conduite qu’il va tenir est justifiée par le droit ; aussi que dit-il ? Méchant serviteur, je t’avais remis toute ta dette.
Quoi de meilleur que ce maître ? Lorsque son esclave lui devait dix mille talents, il ne lui adresse pas une parole de reproche, ne l’appelle pas même méchant, mais ordonne seulement de le vendre ; et cela, pour avoir occasion de lui remettre sa dette. Quand ensuite cet esclave tient envers son compagnon une conduite indigne, alors le maître se fâche et s’emporte pour nous apprendre qu’il pardonne plus facilement les péchés qui l’atteignent lui-même que ceux qui atteignent le prochain. Et ce n’est pas seulement en cette occasion qu’il tient cette conduite, c’est encore en d’autres circonstances : Si vous présentez votre offrande à l’autel, et que là vous vous souveniez que