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alors, dis-je, qu’il se montre si impitoyable et si inhumain pour son compagnon. Si ces précautions n’avaient pas été prises, à quel degré de cruauté ne serait-il pas descendu ? Dieu en tout cela n’a eu d’autre but que d’adoucir ce caractère si emporté, et si rien n’a servi, ce n’est pas sur le maître, mais sur cet incorrigible que retombe la faute. Voyons cependant comment il traite cette maladie : S’étant donc jeté à ses pieds, le serviteur le conjurait en disant : Ayez patience, et je vous rendrai tout. Il ne dit pas qu’il n’avait pas de quoi rendre ; mais les débiteurs promettent toujours, quand même ils n’ont rien à donner, afin d’échapper aux dangers présents.
Apprenons, nous qui avons si peu d’ardeur pour la prière, quelle est la force des supplications. Ce serviteur n’avait à présenter ni jeûnes, ni pauvreté volontaire, ni rien de semblable : mais lui qui n’avait aucune vertu se met à conjurer son maître, et sa prière a tant de force qu’elle l’entraîne à la clémence. Ne désespérons donc jamais dans nos prières. Car peut-il se trouver un plus grand pécheur que celui qui, accablé sous le poids de tant de crimes, n’avait à présenter aucune bonne œuvre, ni grande, ni petite ? Et cependant il ne se dit pas à lui-même : Je n’oserais parler, je suis rempli de honte : comment pourrais-je approcher de mon maître ? Comment pourrais-je le supplier ? Et c’est pourtant ce que disent beaucoup de pécheurs, poussés par la honte que le démon leur inspire. Vous n’osez parler ? C’est précisément pour cela qu’il vous faut approcher, pour que votre ; confiance s’augmente. Celui qui va vous pardonner est-il donc un homme, pour que vous rougissiez, accablé par la honte ? Non, c’est Dieu, Dieu qui désire vous pardonner plus, que vous ne désirez être pardonné. Vous ne désirez pas votre bonheur comme il désire votre salut ; et c’est ce qu’il nous a fait voir par bien des exemples. Vous n’avez pas de confiance ? Et c’est là précisément ce qui doit vous en donner : car c’est un grand sujet de confiance que de croire n’y avoir pas droit, comme aussi c’est un grand sujet de honte que d’oser se justifier en face du Seigneur. C’est se rendre criminel, quand même on serait d’ailleurs le plus saint des hommes, comme aussi celui-là est justifié qui se croit le dernier de tous, témoin le pharisien et le publicain. Donc, quand nous avons péché, ne perdons ni l’espoir, ni la confiance, mais approchons-nous de Dieu, prosternons-nous devant lui, conjurons-le, comme a fait ce serviteur qui, en cela du moins, était inspiré d’un bon sentiment. Ne pas désespérer, ne pas perdre confiance, confesser ses péchés, demander quelque délai, quelque retard, tout cela est beau, tout cela est d’une âme contrite et d’un esprit humilié. Mais ce qui va suivre est loin dé ressembler à ce qui a précédé : ce que ses supplications lui ont fait gagner, la colère où il va entrer contre son compagnon le lui fera bientôt perdre. Voyons, en attendant, comment il obtient son pardon : voyons comment son maître le renvoie libre et ce qui l’a porté à cette détermination : Le Roi ému de pitié, dit l’Évangéliste, le renvoya et lui remit sa dette. L’esclave avait demandé un délai, le maître lui accorde son pardon, de sorte qu’il obtient plus qu’il n’avait demandé. Aussi saint Paul nous dit que Dieu est assez puissant pour tout faire au-delà de ce que nous demandons ou concevons. (Eph. 3, 20) Car vous ne pourrez jamais imaginer tout ce qu’il a résolu de vous donner. Donc pas de défiance, pas de honte : ou plutôt rougissez de vos iniquités, mais ne désespérez pas, n’abandonnez pas la prière : allez, quoique vous ayez péché, apaiser votre Maître, et lui donner occasion d’exercer sa clémence en vous pardonnant vos fautes : car, si vous n’osez pas approcher, vous mettez obstacle à sa bonté et vous l’empêchez, autant qu’il est en vous, de montrer combien son cœur est généreux. Ainsi, pas de découragement, pas de langueur dans nos prières. Quand nous serions tombés dans le gouffre du vice, il peut nous en retirer bien vite. Personne n’a autant péché que le mauvais serviteur : il avait épuisé toutes les formes du vice ; c’est ce que montrent les dix mille talents : personne ne peut être plus vide de bonnes œuvres que lui : aussi nous dit-on qu’il ne pouvait rien payer. Et cependant ce criminel que tout conspirait à accuser, la prière est si puissante qu’elle l’a délivré. La prière est-elle donc si efficace qu’elle puisse soustraire à la punition et au châtiment celui qui, par ses actions et ses œuvres mauvaises, s’est rendu coupable envers le Maître ? Oui, elle le peut, ô homme. Elle n’est pas seule en effet dans son entreprise : elle a l’aide et le soutien le plus fort, la miséricorde de ce Dieu à qui s’adresse la prière : c’est la miséricorde qui fait tout et qui donne à la prière sa puissance. C’est pour faire entendre cette vérité que