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qui s’est dépouillé, qui a recouvert les membres nus du pauvre, pouvait du moins emprunter un manteau ; mais cette veuve, après avoir dépensé sa poignée de farine, ne pouvait pas s’assurer une autre, poignée de farine ; le danger, pour elle, ne se réduisait pas à la nudité, elle ne pouvait que s’attendre à la mort, pour elle et pour ses enfants. Eh bien ! quand nous voyons que, ni la pauvreté, ni ses enfants à nourrir, ni l’horreur de la famine, ni une telle indigence, ni la mort qui l’attend, rien ne l’arrête, quelle pourra être notre excuse, à nous qui sommes dans l’abondance ? quelle sera l’excuse des pauvres ? Vive le Seigneur votre Dieu ! je n’ai point de pain, je n’ai qu’une poignée de farine, dans un pot, et un peu d’huile dans un petit vase ; et voici que je ramasse deux, morceaux de bois, et, je rentrerai, et j’apprêterai à manger à mes fils et à moi, et nous mangerons, et nous mourrons. Plainte lamentable, ou plutôt parole bienheureuse et digne du ciel, qu’il faut que chacun de nous inscrive sur les murailles de sa maison, dans la chambre où nous dormons, dans la salle où nous prenons nos repas. Chez nous, hors de chez nous, sur la place publique, dans les réunions de nos amis, quand nous allons au tribunal, quand nous entrons, quand nous sortons, chacun de nous tous, méditons cette parole, et voici ce que je dis, ce que j’affirme, c’est qu’il n’est pas d’homme, eût-il un cœur de pierre, de fer, de diamant, qui, lorsqu’un pauvre s’approchera de lui, le renvoie encore les mains vides, si cet homme a inscrit cette parole, si cet homme tient ses regards fixés sur cette veuve.
Mais peut-être me dira-t-on : envoyez-moi un prophète, et vous verrez quel accueil je lui ferai, moi aussi. Formulez votre promesse et moi je vous amène un prophète ; que dis-je, un prophète ? je vous amène le Seigneur même des prophètes, Celui qui est, pour nous tous, notre Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car c’est lui qui prononce cette parole : J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger. (Mt. 25,35) S’il y a des incrédules qui dédaignent cette parole et les devoirs de la charité, on les leur fera comprendre à l’heure des châtiments et des supplices. Attendu que c’est le Christ lui-même qu’ils auront dédaigné, ils s’en iront subir l’insupportable torture. Pour ceux qui nourrissent les pauvres, c’est au Christ lui-même qu’ils donnent leurs soins : à eux la royauté du ciel !
10. Peut-être avons-nous fait un trop long discours. Plût au ciel qu’il nous fût permis, tous les jours, de vous entretenir de l’aumône ! S’il vous semble que nous vous en avons assez dit, eh bien ! résumons toutes nos réflexions. J’ai dit pourquoi le prophète a, été envoyé à cette veuve ; c’est pour que vous cessiez de mépriser la pauvreté, d’attacher tant de prix aux richesses, de vanter le bonheur du riche, de plaindre, de déplorer la condition de l’indigent ; c’est pour que vous compreniez la malignité des Juifs. C’est la coutume de notre Dieu, quand il apprête un châtiment, de se justifier par des faits qui se réalisent : il ne veut pas que, voyant dans la suite des temps le Sauveur commun de tous les hommes, rejeté par ces Juifs, accueilli par les nations, vous soyez étonnés et incertains ; voilà pourquoi il vous montre, longtemps d’avance, leur perversité, leur habitude de récompenser par des tourments ceux qui leur ont fait du bien ; il ne veut pas que vous taxiez de cruauté la prière du prophète, le châtiment que cette prière suscite, mais que vous y reconnaissiez un zèle divin, une sage sollicitude ; apprenez que, même les plus vertueux ont besoin de correction, parce qu’ils sont des hommes comme nous ; ne répondez pas, quand nous vous exhortons à montrer le même zèle que le prophète, qu’il vous est impossible de l’imiter. J’ai dit, en parlant de la veuve, comment, dans une si grande détresse, malgré la famine qui la tourmentait, elle n’a pas adressé une seule parole amère au Prophète, quoique sa colère eût été de circonstance, ce que j’ai prouvé par le caractère des Juifs : rien de pareil pourtant ne s’est montré en elle ; avec une douceur, une charité parfaite, elle l’a accueilli ; toute son indigence, elle l’a dépensée pour lui faire honneur, et, cependant, c’était une femme de Sidon, une étrangère ; elle n’avait pas entendu les leçons de la sagesse, les prophètes recommandant l’aumône ; elle n’avait pas entendu les paroles du Christ : J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger. Quel pardon pourrons-nous mériter, si, après tant d’exhortations, lorsque de si hautes récompenses nous sont promises, lorsque l’on nous offre le royaume des cieux, nous ne parvenons pas, avec cette veuve, à la même perfection de la bonté, de la charité ? C’était une femme de Sidon, c’était une étrangère, une femme, une veuve, chargée de nombreux enfants, et la famine était là, elle en voyait tous les dangers,