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qui les accablaient. (Ex. 6,9) À l’aspect d’un homme qui leur apportait de si heureuses nouvelles, ils se détournèrent. Cette femme vit le prophète, qui ne venait pas pour dissiper la famine, mais pour lui être à charge à elle-même ; et elle n’éprouva rien de ce qu’on vit chez les Juifs. Ce qui les rendait moroses, c’était la fatigue de leurs travaux ; cette femme, au contraire, ne souffrait pas de la fatigue ; elle éprouvait la faim cruelle ; certes, entre la fatigue et la faim, la différence est grande. Et non seulement elle ne se détourna pas, elle fit plus : elle épuisa toute sa pauvreté, pour bien recevoir celui qui leur avait infligé la famine. Et elle s’en alla pour lui apporter de l’eau, dit le texte, et le prophète cria, et dit : apportez-moi aussi du pain, et je mangerai. (1R. 17,11) Que fit la femme alors ? même alors, elle consent à tout. Mais que dit-elle ? Vive le Seigneur votre Dieu !, je n’ai point de pain, je n’ai qu’une poignée de farine. Pourquoi jure-t-elle ? C’est que le prophète a demandé du pain ; du pain, elle n’en avait pas ; donc, elle a eu peur que pendant qu’elle ferait cuire, qu’elle préparerait son pain, ce qui demandait du temps, le prophète, ne supportant pas ce retard, ne se retirât, et que la proie offerte à son hospitalité n’échappât de ses mains. Voilà pourquoi elle s’est empressée, sous la foi du serment, de lui apprendre que ce n’est pas la farine qui lui manque, mais le pain ; qu’elle a de la farine ; et il ne lui suffit pas de son serment, elle y ajoute la démonstration, par l’action qu’il lui voit faire. Voici, en effet, dit-elle, que je ramasse deux morceaux de bois, et je rentrerai, et j’apprêterai à manger à mes fils et à moi, et nous mangerons, et nous mourrons.
Entendez tous, constructeurs de palais magnifiques, acheteurs de somptueux domaines, qui promenez, par les places publiques, vos troupeaux de serviteurs, ou plutôt, riches et pauvres, écoutez tous : Il n’y a plus, pour personne, d’excuse depuis cette veuve ; malgré tant d’embarras qui devaient l’arrêter, elle tranche tout, elle surmonte tout. Écoutez, écoutez : C’était une étrangère, premier obstacle ; du pays de Sidon, second obstacle ; car, ce n’est pas la même chose que d’être, à quelque titre que ce soit, étranger, ou d’être originaire de Sidon, d’une ville infâme. Le Christ, dans les Évangiles, parle de cette ville comme d’une cité abominable. (Mt. 11,21-22) Cette femme donc était étrangère, et du pays de Sidon ; c’était une femme, par conséquent un être faible, ayant, à tous égards, besoin d’appui ; elle était veuve, quatrième obstacle ; cinquième obstacle, le plus grand de tous, des enfants à nourrir. Écoutez, veuves, et vous toutes qui nourrissez des enfants : elle n’a pas trouvé là une excuse suffisante, légitime, pour ne pas faire l’aumône, pour écarter des étrangers. Elle n’avait plus qu’une poignée de farine, et après, c’était la mort qu’elle attendait. Pour vous, quand vous auriez tout dépensé, quand vous vous seriez mis à nu, encore pouvez-vous aller chez les autres, et là trouver quelque consolation : mais alors, nul moyen de mendier ; tous les refuges étaient fermés ; c’était la famine. Aucun obstacle ne l’arrêta, Je veux dire, maintenant, un sixième obstacle, à savoir, la personne même que cette femme allait accueillir. Ce n’était ni un ami, ni une connaissance, mais un voyageur, un étranger ; ajoutez que la religion élevait comme un mur entre elle et lui. Et ce n’était pas seulement un voyageur, un étranger, c’était précisément celui qui avait appelé la famine.
9. Et cependant, aucun de tous ces obstacles ne prévalut, n’arrêta cette femme ; elle offrit des aliments à cette bouche qui lui avait enlevé tous ces aliments ; l’auteur de la famine fut nourri par cette femme des restes que lui laissait la famine. C’est toi, dit-elle, qui m’a fait perdre tout ce que j’avais ; c’est grâce à toi que je n’ai plus que cette poignée de farine ; eh bien ! jusqu’à cette pauvre poignée de farine, je la dépenserai pour toi ; je m’exposerai moi-même, et mes enfants avec moi, je les exposerai à la mort, pour que toi, l’auteur de notre détresse, tu ne ressentes pas, de cette détresse, la moindre atteinte. Qui poussa jamais plus loin le culte de l’hospitalité ? Je dis que celui-là est impossible à rencontrer. Elle voit un voyageur ; et, tout de suite, elle ne sent plus qu’elle est mère ; elle oublie les douleurs de l’enfantement ; elle voit ses enfants autour d’elle, et sa résolution tient bon. Je sais bien que l’on dit et que l’on répète : un tel a donné à un pauvre la seule tunique qu’il avait lui-même pour se couvrir ; il s’en est dépouillé pour en revêtir celui qui était nu ; il a emprunté un manteau, et il a pu se retirer ainsi ; et cette action a paru belle et admirable. Assurément, c’est une belle action ; mais ce qu’a fait cette veuve est bien plus beau encore. Celui