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les pauvres, mais encore pour nous. Ce que je vais vous dire est un peu dur, et pourra vous déplaire ; je vous le dirai toutefois, puisque je vous le dis pour vous corriger, et non pour vous offenser. Nous reprochons aux pauvres la paresse, vice souvent excusable ; et nous, nous avons souvent à nous reprocher bien plus que de la paresse. Mais moi, direz-vous, j’ai un patrimoine. Mais parce que ce misérable est pauvre, et qu’il est né de parents pauvres ; qu’il n’a pas eu des ancêtres opulents, doit-il donc périr ? je vous le demande. Ne doit-il pas, pour cela même, surtout trouver de la compassion dans le cœur des riches ? Vous qui passez tous les jours dans les spectacles, dans des assemblées nuisibles, dans des sociétés d’où l’on ne retire aucun avantage, où l’on se permet mille traits de médisance et de calomnie, vous croyez ne rien faire de mal et n’être pas coupable de paresse, et un malheureux qui passe tout le jour à pleurer, à gémir, à supplier, à souffrir mille maux, vous le citez à votre tribunal, vous le jugez durement, vous lui demandez mille comptes ! est-ce là, je vous prie, un procédé humain ? Ainsi, quand vous dites : Que répondrons-nous à saint Paul ? adressez-vous les paroles de l’Apôtre à vous-même, et non pas aux pauvres. D’ailleurs, ne vous contentez pas de lire les menaces de saint Paul, lisez aussi ses paroles indulgentes. Le même apôtre qui dit : Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas non plus manger, ajoute : Mais vous, mes frères, ne vous lassez pas de faire le bien. (2Th. 3,12-13)
Mais quel est encore un prétexte spécieux de nos riches impitoyables ? ce sont, disent-ils, des esclaves fugitifs, des vagabonds, des étrangers, qui abandonnent leur patrie, et qui accourent dans notre ville. Eh quoi, mon frère ! êtes-vous donc fâché qu’on regarde généralement votre ville comme un port commun, qu’on la préfère à sa ville natale ? voulez-vous lui ravir cette couronne ? Vous devez vous réjouir et triompher de ce que tous les malheureux accourent dans nos bras comme dans un asile commun, de ce qu’ils regardent notre ville comme leur mère et leur protectrice. Ne privez pas votre patrie du plus beau de ses éloges, ne lui enlevez pas une gloire qu’elle tient de ses ancêtres. Dans les premiers jours du christianisme, lorsque toute la terre était menacée d’une grande famine, les habitants de notre ville envoyèrent une grande somme d’argent, par les mains de Barnabé et de Paul, aux fidèles de Jérusalem (Act. 11, 30), à ceux mêmes dont nous avons tant parlé dans ce discours. Serions-nous donc excusables, si, lorsque nos ancêtres secouraient de leurs deniers des hommes éloignés de leur pays, et qu’ils allaient les chercher eux-mêmes, nous repoussions des misérables qui accourent à nous d’ailleurs, nous leur demandions un compte rigoureux ; et cela, sachant que nous sommes coupables de mille crimes, et que si Dieu nous examinait avec la même rigueur que nous examinons les pauvres, nous n’obtiendrions aucune indulgence, aucune pitié. Vous serez jugés, dit l’Évangile, selon que vous aurez jugé les autres. (Mat. 7,2) Soyez donc humains et doux envers votre semblable, pardonnez-lui beaucoup de fautes, ayez compassion de lui, afin qu’on ait pour vous les mêmes égards. Pourquoi vous créer à vous-mêmes des embarras ? pourquoi vous inquiéter vous-mêmes. Si Dieu vous eût ordonné d’examiner la vie de vos frères, de rechercher leurs mœurs, de leur demander des comptes, plusieurs n’auraient-ils pas été mécontents ? n’auraient-ils pas dit : Assurément Dieu nous a chargés d’une fonction fort disgracieuse et très-difficile ? Pouvons-nous parvenir à connaître la vie des autres ? Pouvons-nous savoir les fautes que tel et tel a commises ? Plusieurs n’auraient-ils pas tenu ces discours et d’autres semblables ? Et lorsque Dieu nous dispense de ces recherches pénibles, lorsqu’il promet de nous donner une récompense abondante, soit que ceux que nous soulagions soient bons ou méchants, nous nous formons à nous-mêmes des embarras. Et qu’est-ce qui prouve, direz-vous, que nous recevrons toujours notre récompense, soit que ceux à qui nous donnons soient bons ou méchants ? Ce sont les paroles mêmes du Fils de Dieu : Priez, dit-il, pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. (Mat. 5,44-45) Suivez donc l’exemple de votre Seigneur et de votre Maître. Quoiqu’une infinité d’hommes le blasphèment, quoiqu’une infinité d’hommes se livrent à la fornication, aux vols, aux rapines, soient souillés de vices et de crimes, il ne cesse de les combler de biens, il verse sur eux des rayons bienfaisants, des pluies fécondes, tous les fruits de la terre,