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Et ce langage de notre part n’avait pas pour but de vous exciter à l’abondance des richesses, ni de vous engager à en posséder plus que vous n’en avez besoin ; le but était de vous fournir de quoi répondre aux infidèles qui se moquent de notre religion. Car Jésus-Christ, en abrogeant sa première prescription, ne nous a pas ordonné de posséder des maisons, des esclaves, des lits de parade, des ustensiles d’argent, ni rien autre chose de tel, mais il a ordonné que nous fussions affranchis de l’obligation imposée par sa première parole. Et saint Paul le comprenait ainsi, lorsqu’il donnait ce conseil : Quand nous aurons de quoi nous nourrir et nous vêtir, nous nous en contenterons. (1Ti. 6,8) Car, pour ce qui dépasse notre besoin, nous devons l’employer en faveur des indigents ; et c’est ce que faisaient Priscille et Aquila. C’est pour cela que saint Paul les loue et les admire, et qu’il rédige sur leur compte le plus grand éloge. En effet, après avoir dit : Saluez Priscille et Aquila, mes coopérateurs dans le Seigneur (Rom. 16,3), il donne la cause d’une telle affection. Et quelle est-elle ? Eux, dit-il, qui ont exposé leur tête pour me sauver la vie. (Id. 5,4) C’est donc pour cela que vous les aimez, que vous les chérissez, dira-t-on ? Assurément ; et quand il n’y aurait que cet éloge, il serait suffisant. Car celui qui sauve le général, sauve par là même les soldats ; celui qui délivre le médecin d’un danger, ramène par contre-coup les malades à la santé ; celui qui arrache le pilote aux flots, arrache au naufrage l’équipage entier ; de même ceux qui ont sauvé le docteur de l’univers, qui ont versé leur sang pour son salut, ont été les bienfaiteurs communs de toute la terre, puisque dans leur sollicitude à l’égard du maître ils ont sauvé tous les disciples.
Mais pour vous convaincre qu’ils ne se conduisirent pas ainsi à l’égard du maître seulement, et qu’ils firent preuve de la même sollicitude envers leurs frères, écoutez ce qui suit. Après ces paroles : Eux qui ont exposé leur tête pour me sauver la vie, il ajoute ceci : Et à qui je ne suis pas seul reconnaissant, mais avec moi toutes les Églises des nations. Eh ! quoi ? toutes les Églises des nations sont donc reconnaissantes à des faiseurs de tentes, à de pauvres manœuvres qui ne possèdent rien de plus que la nourriture nécessaire ? Et quel si grand service ces deux personnages ont-ils pu rendre à tant d’Églises ? quelle abondance de richesses possédaient-ils ? quelle grandeur de puissance ? quel crédit auprès des gens en place ? Ils n’eurent ni richesses abondantes, ni autorité près des gens puissants ; mais ce qui valait mieux que tout cela, un zèle généreux et une âme munie d’une foule de ressources contre les dangers. C’est pour cela qu’ils sont devenus les bienfaiteurs et les sauveurs de tant de monde. Car les riches pusillanimes ne peuvent pas être utiles aux Églises comme les pauvres à l’âme généreuse. Et que nul ne trouve cette parole étrange ; car elle est conforme à la vérité, et démontrée par les faits eux-mêmes. Le riche est vulnérable par bien des endroits. Il craint pour sa maison, pour ses serviteurs, pour ses champs, pour ses richesses ; il tremble qu’on ne lui en enlève quelque chose. Multiplicité de possession engendre multiplicité de servitude. Pendant ce temps-là, le pauvre, toujours prêt pour la lutte, et qui s’est défait de tous les points sensibles dont nous venons de parler, est un lion qui respire la flamme ; son âme est généreuse, et comme il est détaché de tout, il accomplit aisément tout ce qui peut servir les Églises, qu’il s’agisse soit de condamner, soit de blâmer, soit de subir mille affronts pour Jésus-Christ ; et comme il a, une fois pour toutes, méprisé la vie présente, tout lui est facile et extrêmement aisé.
En effet, que craint-il ? dites-moi. Que quelqu’un ne lui enlève ses richesses ? Cela n’est même pas à dire. Qu’on ne le bannisse de sa patrie ? Mais tout sous le ciel est pour lui une cité ? Qu’on ne lui retranche le faste et les honneurs ? Mais il a dit adieu à tout cela : sa cité est dans le ciel, et il lui tarde d’arriver à la vie future. Quand il lui faudrait livrer sa vie, verser son sang, il ne s’y refuserait pas. C’est là ce qui fait un tel homme plus puissant et plus riche que les tyrans, que les rois, que les peuples, que tous les hommes enfin. Et pour vous convaincre que je parle sans flatterie, et que véritablement ceux qui ne possèdent rien sont en état plus que qui que ce soit d’avoir leur franc-parler, combien n’y avait-il pas de riches du temps d’Hérode?combien de potentats ? Eh bien ! qui est-ce qui parut en public ? qui est-ce qui fit des reproches au tyran ? qui est-ce qui vengea les lois de Dieu outragées ? Personne d’entre les opulents, mais le pauvre, le nécessiteux, celui qui n’avait ni lit, ni table, ni toit ; ce fut Jean, le citoyen du désert, qui, le premier et le seul, accusa le tyran en toute