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à eux-mêmes, les laisse aller seuls, exposés à toute sorte d’épreuves, afin qu’ils ne demeurent pas entièrement oisifs et en repos.
Les maîtres de natation commencent par soutenir avec grande attention leurs élèves en tenant eux-mêmes les mains par-dessous, mais après le premier, le second ou le troisième jour, ils retirent souvent leur main, et ordonnent à leurs élèves de s’aider eux-mêmes ; ils les laissent enfoncer un peu de temps en temps, et avaler beaucoup d’onde amère. Eh bien ! Jésus-Christ en usa de même à l’égard de ses disciples. Dans le commencement, au début, il ne permit qu’ils éprouvassent aucune souffrance, ni petite, ni grande ; il était toujours là, les protégeant, les prémunissant, et prenant ses mesures pour que tout leur arrivât à souhait ; mais lorsqu’ils furent obligés de faire à leur tour preuve de courage, il diminua un peu sa grâce, les exhortant à beaucoup faire par eux-mêmes. Et c’est pour cette raison que tandis qu’ils n’avaient ni chaussures, ni bourse, ni bâton, ni argent, ils ne manquaient de rien. Avez-vous, leur dit-il, manqué de quelque chose ? De rien, répliquèrent-ils ; et qu’au contraire, maintenant qu’il leur a ordonné d’avoir une bourse, un sac et des chaussures, ils se trouvent au dépourvu pour le manger, pour le boire et pour le vêtement. Cela prouve qu’il permettait souvent qu’ils courussent des dangers et qu’ils fussent dans la gêne, pour qu’ils eussent une récompense. C’est à peu près ce que, font les oiseaux à l’égard de leurs petits tant que ceux-ci ont les ailes faibles, ceux-là restent sur le nid pour réchauffer leur couvée, mais quand ils voient que les grandes plumes ayant poussé, les jeunes sont en état de fendre l’air, ils commencent par leur apprendre à voler sur le nid même, puis ils les conduisent un peu plus loin tout alentour : d’abord ils les suivent et les soutiennent, et ensuite ils les laissent se tirer d’affaire tout seuls. C’est ainsi qu’en usa le Christ. La Palestine est le nid où il nourrit ses disciples ; puis quand il leur a appris à voleter en sa présence et soutenus par lui, il les laisse à la fin prendre leur essor à travers le monde, en leur ordonnant de s’aider eux-mêmes en mainte occasion. Pour nous convaincre que c’est afin de leur faire connaître sa puissance, qu’il les a dénués de tout, qu’il les a envoyés vêtus d’un seul manteau et leur a ordonné de marcher sans chaussures, écoutons ses propres paroles, et nous verrons clairement cette vérité. En effet, il ne leur a pas dit simplement : Prenez une bourse et un sac ; mais il leur a rappelé le passé, en leur disant : Quand je vous ai envoyés sans bourse et sans sac, avez-vous manqué de quelque chose ? ce qui veut dire : Toutes choses ne vous arrivaient-elles pas à souhait, et ne jouissiez-vous pas d’une grande abondance ? mais maintenant je veux que vous luttiez par vous-mêmes, je veux que vous éprouviez aussi la pauvreté, c’est pourquoi je ne vous astreins plus désormais aux rigueurs de ma première loi, mais je vous permets d’avoir une bourse et un sac, afin qu’on ne croie pas que j’opère comme par l’entremise d’instruments inanimés les œuvres que vous ferez, mais afin que vous ayez vous-mêmes de quoi faire preuve de, votre sagesse personnelle.
3. Et pourquoi, dira-t-on, la grâce n’aurait-elle pas paru plus grande encore, s’ils avaient continué jusqu’à la fin dans les premières conditions ? C’est qu’alors ils n’auraient pas eux-mêmes fait leurs preuves ; car s’ils n’eussent eu aucune tribulation à essuyer, aucune pauvreté, aucune persécution, aucune gêne, ils fussent demeurés inactifs et engourdis ; tandis que le Sauveur a voulu ainsi, non seulement faire éclater sa grâce, mais en outre faire paraître de quoi sont capables ceux qui lui obéissent, afin qu’on ne pût venir dire ensuite : Ils n’ont rien produit par eux-mêmes, tout cela est le fait de l’impulsion divine. Sans doute Dieu pouvait fort bien les établir jusqu’à la fin dans cette même affluence de secours, mais il ne l’a pas voulu pour plusieurs motifs impérieux que nous avons souvent exposés à votre charité : l’un est celui que nous venons de dire, le second, qui n’était pas moins important, c’était pour qu’ils apprissent à être modestes, et le troisième, pour qu’ils n’obtinssent pas une gloire trop grande pour des hommes. C’est donc pour ces raisons, et pour bien d’autres encore, que, permettant qu’ils tombassent dans plusieurs dangers imprévus, il ne voulut pas les laisser sous la rigueur de sa première législation ; il relâcha le frein, il tempéra l’austérité de cette vertu, pour que la vie ne leur devînt pas un fardeau insupportable, si, abandonnés à eux-mêmes dans mainte rencontre, ils eussent été forcés d’observer une loi aussi sévère. Et comme il faut donner une entière évidence à tout ce que la question pourrait présenter d’incertitude, il est nécessaire d’ajouter