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aussi les distances, les nombreuses préoccupations, le flux et reflux perpétuel des événements, l’impossibilité d’être toujours au milieu de tous, et bien d’autres inconvénients plus graves que ceux-là, étaient de nature à bannir de sa mémoire les gens même les plus recommandables. Mais non, il n’en perdit pas le souvenir. Et comment cela fut-il possible ? C’est que Paul avait l’âme grande et une charité ardente et sincère. Il avait ces personnes-là tellement présentes à sa pensée, qu’il en faisait souvent mention même dans ses lettres. Mais voyons quel était le caractère, là condition de ces fidèles qui captivèrent Paul à ce point, et s’attirèrent son affection personnelle. C’étaient peut-être des consuls, des préteurs, des procurateurs, d’autres dignitaires illustres, ou de ces grands, de ces riches qui mènent la ville comme ils veulent ? Non, rien de pareil, mais tout à fait le contraire : des pauvres, des indigents vivant du travail de leurs mains. Car leur état, dit l’Écriture, était de fabriquer des tentes ; et Paul n’avait point honte et ne regardait nullement comme un opprobre pour la ville royale par excellence et pour ce peuple orgueilleux, de lui recommander de saluer ces artisans ; il ne croyait pas faire injure aux Romains par l’amitié qu’il portait à ces mêmes artisans : tant il avait appris alors la véritable sagesse à tous les fidèles. Et nous, quand nous avons dans notre famille des gens un peu plus pauvres que nous, souvent nous les excluons de notre familiarité ; nous nous croirions déshonorés, si l’on venait à découvrir qu’ils tiennent à nous par quelque parenté. Ce n’était pas ainsi que se comportait Paul : loin de là, il en tire gloire, et il proclame non seulement devant son époque, mais pour tous les âges à venir, que ces faiseurs de tentes occupaient un des premiers rangs dans son amitié. Et qu’on ne vienne pas me dire : Qu’y a-t-il donc de grand et d’admirable, qu’ayant lui-même cet état, il n’ait point rougi de ceux de son métier ? Comment ? C’est précisément là ce qu’il y a de plus grand, ce qu’il y a d’admirable ! Lorsqu’on peut citer des ancêtres illustres, on rougit moins de ceux dont la position est infime comparée à la nôtre, que lorsque, d’une condition jadis aussi humble que la leur, on s’est ensuite élevé tout d’un coup à un certain éclat, à un poste en vue. Or personne alors n’était plus illustre, ni plus en évidence que Paul, il était plus célèbre que les rois mêmes ; cela est reconnu de tout le monde. En effet, l’homme qui commandait aux malins esprits, qui ressuscitait les morts, qui pouvait d’une seule injonction rendre les gens aveugles et guérir ceux qui l’étaient, l’homme dont les vêtements et l’ombre elle-même dissipaient toute espèce de maladie, était bien évidemment regardé non plus comme un homme, mais comme un ange descendu des cieux. Malgré cela, avec toute cette gloire dont il jouissait, cette admiration qui le suivait en tous lieux, tous les regards se fixant sur lui n’importe où il se montrait, il ne rougissait point d’un faiseur de tentes, et il ne pensait pas avilir la dignité des personnages si haut placés. Car dans l’Église de Rome il y avait naturellement bien des personnages illustres, qu’il chargeait ainsi de saluer ces pauvres gens. C’est qu’il savait, il savait parfaitement que la noblesse ne vient pas de l’éclat de la fortune, de l’abondance des richesses, mais de la bonne conduite ; de sorte que si l’on est dépourvu de cette dernière, et que l’on s’enorgueillisse de la gloire de ceux auxquels on doit le jour, on se pare seulement du vain nom de la noblesse, sans en avoir la réalité ; disons mieux, il se trouve souvent que le nom même est dérobé, s’il prend idée à quelqu’un de remonter plus haut que ces nobles ancêtres. Tel en effet, illustre et en vue lui-même, peut encore nommer un père et un aïeul célèbres ; mais en cherchant bien, vous lui trouverez souvent un bisaïeul obscur et sans nom ; de même que si nous voulons scruter, en remontant par degrés, toute la généalogie de ceux que nous croyons de basse naissance, nous leur trouverons souvent pour aïeux éloignés des procurateurs, des préteurs, dont les descendants ont fini par devenir des éleveurs de chevaux, des engraisseurs de porcs. Rien de tout cela n’échappait à saint Paul : aussi faisait-il peu de cas de cette sorte d’avantages, mais il cherchait la noblesse de l’âme, et il apprit aux autres à admirer cette qualité. En attendant, nous tirons de là un fruit qui n’est pas médiocre, c’est de ne rougir d’aucun de ceux dont la condition est plus humble que la nôtre, de rechercher la vertu de l’âme, et de considérer comme superflues et inutiles toutes les circonstances qui nous sont extérieures.

3. Il y a encore un autre avantage non moins grand à en recueillir, et qui, mis à profit, exerce on ne peut plus d’influence sur la règle