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ouvre souvent un océan de pensées. Et que dis-je, une simple salutation ? Souvent l’addition d’une seule lettre de l’alphabet apporte avec soi tout un ensemble de pensées fécondes. C’est ce qu’on peut voir à propos de l’appellation d’Abraham. Celui qui reçoit une lettre de soir ami ne se contente pas de lire le corps même de cette lettre, il lit aussi la salutation qui est au bas, et c’est par là surtout qu’il juge de la disposition de celui qui a écrit. Et quand c’est Paul qui écrit, ou plutôt, non pas Paul, mais la grâce de l’Esprit-Saint qui adresse une lettre à une ville entière, à un peuple si nombreux, et par eux à tout l’univers, n’est-il pas déplacé de croire qu’il y ait dans le contenu quelque chose d’inutile, et de passer légèrement à côté, sans réfléchir que c’est là ce qui a tout bouleversé ? Oui, ce qui nous a plongés dans cet abîme de tiédeur, c’est de ne pas lire les Écritures dans leur entier, c’est de faire un choix de ce qui nous paraît le plus clair, sans tenir le moindre compte du reste. C’est ce qui a même introduit les hérésies que de ne pas vouloir étudier tout l’ensemble et de croire qu’il y avait du superflu, de l’accessoire. Aussi, tandis qu’en tout le reste nous avons poursuivi, non seulement le superflu, mais encore l’inutile et le nuisible, l’étude des Écritures est restée négligée et méprisée. Ceux qui ont la frénésie d’assister aux courses de chevaux, savent bien vous dire avec la dernière exactitude le nom de chaque cheval, à quelle troupe il appartient, quelle est sa race, son âge, et sa force comme coureur ; ils vous diront lequel, attelé avec quel autre, enlèvera la victoire ; quelle bête enfin, partie de quelle barrière, et avec quel écuyer, aura le pas sur son concurrent, et obtiendra le prix de la course. Les gens qui ont fait de la danse l’objet de leur étude, nous offrent l’exemple d’une folie non moins grande, plus forte même encore, à l’égard de ceux qui exposent leur honte sur les théâtres, je veux dire les mimes et les danseuses : ils vous débitent leur famille, leur patrie, leur éducation, et tout le reste. Et nous, quand on nous demande combien il y a d’épîtres de saint Paul, et ce qu’elles sont, nous ne pouvons même pas en dire le nombre. Et s’il y a quelques personnes qui le sachent, on les embarrasse en leur demandant à quelles villes elles furent envoyées. Ainsi, un eunuque, un étranger, préoccupé d’une infinité d’affaires diverses, avait tant d’assiduité pour les livres, qu’il ne connaissait point de relâche, même en voyage, et qu’assis dans sa voiture il s’appliquait à une lecture fort attentive des divines Écritures (Act. 8,27 et suiv.) ; et nous, qui n’avons pas la millième partie de ses occupations, nous sommes étrangers au nom même des épîtres, et cela, quand chaque dimanche nous nous rassemblons en ce lieu pour profiter de l’audition de la parole sainte. Eh bien ! donc, car je ne voudrais pas employer tout mon discours à vous faire des reproches, voyons donc un peu ensemble cette salutation qui a l’air inutile et gênante. Car si nous l’expliquons, et si nous faisons voir tout le profit qui en revient à ceux qui y font bien attention, alors le reproche n’en sera que plus grand contre ceux qui négligent de pareils trésors et qui rejettent loin d’eux les richesses spirituelles qui sont entre leurs mains. Quelle est donc cette salutation ? Saluez, dit saint Paul, Priscille et Aquila, mes coopérateurs dans le Seigneur. (Rom. 16,3) Ne trouvez-vous pas que voilà une bien insignifiante formule, et qui ne nous offre rien de grand, ni de noble ? Eh bien ! c’est pourtant à elle seule que nous consacrerons tout cet entretien, ou plutôt, nos efforts n’auront même pas assez d’aujourd’hui pour épuiser devant vous toutes les pensées renfermées dans ces quelques mots ; nous serons forcés de réserver pour un autre jour le surplus des méditations que cette brève salutation fera surgir. Car pour aujourd’hui, je n’ai pas en vue de la considérer tout entière ; je n’en examinerai qu’une partie, le commencement, le début : Saluez Priscille et Aquila.

2. Et d’abord, on a lieu d’être frappé de la vertu de Paul, aux soins de qui l’univers entier avait été remis, et qui, ayant à s’inquiéter de la terre et de la mer, de toutes les villes que le soleil éclaire, des Grecs et des Barbares, enfin d’un si grand nombre de peuples, montrait tant de préoccupation pour un seul homme et une seule femme ; puis, une autre chose encore est admirable, c’est ce qu’il fallait à son âme de vigilance et de sollicitude pour se souvenir non seulement de tous en général, mais en particulier de chaque personne estimable et vertueuse. De nos jours, cela n’a rien d’étonnant de la part de ceux qui sont à la tête des Églises, car les troubles d’alors sont apaisés, et les prélats ne sont plus chargés que du soin d’une seule ville ; tandis que, dans ce temps-là, non seulement la grandeur des dangers, mais