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lui une telle aversion, qu’il ne souffrait même pas qu’on le nommât en sa présence, et qu’il l’appelait par le nom de son père. Car un certain jour de fête, Saül ayant machiné une ruse contre David, lui ayant dressé de cruelles embûches, et ne le voyant pas arriver : Où est, dit-il, le fils de Jessé ? (1Sa. 20,27) Il l’appelait par le nom de son père, d’une part à cause de cette haine qui lui rendait le nom de David insupportable, et aussi parce qu’il croyait que la basse naissance de ce père ternissait la gloire de ce juste ; pensée misérable, insensée, car avant tout, eût-il eu quelque chose à reprocher à Jessé, cela ne faisait aucun tort à David. Car chacun est responsable de ses propres actions, et c’est par là que chacun de nous mérite les éloges ou le blâme. Mais, n’ayant rien à lui reprocher de mal, il mettait en avant la bassesse de son extraction, se figurant qu’il obscurcirait ainsi l’éclat de sa gloire, et cela même était de la dernière folie. Quel sujet de blâme en effet, d’être né de parents obscurs et infimes ? Mais Saül ne savait pas voir les choses avec cette sagesse. Il appelait donc David fils de Jessé ; mais David, quand il trouva Saül endormi dans la caverne, ne l’appela pas fils de Cis ; il lui donna son nom d’honneur : Que je ne porte point ma main, dit-il, sur l’oint du Seigneur ! (1Sa. 26, 11) Tant David était pur de toute colère et de tout ressentiment ! il appelle l’oint du Seigneur celui qui lui a fait tant de mal, celui qui a soif de son sang, celui qui après mille bienfaits reçus de lui, a tenté plusieurs fois de le faire périr. C’est qu’il ne considérait pas quel châtiment Saül méritait ; mais bien ce qu’il était convenable à lui, David, et de faire et de dire ; or c’est là la dernière limite de la sagesse. Quelle est cette conduite ? tu tiens ton ennemi comme emprisonné, il est attaché par une double chaîne, par une triple chaîne, l’exiguïté de l’endroit, l’absence de tout secours, la captivité du sommeil, et tu ne lui fais pas subir ta justice, ta vengeance ? Non, répond-il ; car je n’examine pas en ce moment de quelle peine il est digne, j’examine ce qu’il m’est séant de faire. David ne regarda pas à la facilité du meurtre, mais il eut en vue l’exact accomplissement d’un devoir dicté par la sagesse. Et pourtant, de toutes les circonstances où il se trouvait, quelle est celle qui n’était de nature à le déterminer à tuer Saül ? Son ennemi ne lui était-il pas livré tout enchaîné ? Or vous savez fort bien que nous nous jetons plus volontiers dans les entreprises pleines de facilité, et que l’espoir du succès fait naître en nous un plus grand désir d’agir : c’était le cas où se trouvait David.
N’était-il pas en outre conseillé, excité par le chef de l’armée ? N’avait-il pas le souvenir de ce qui s’était passé ? Eh bien ! rien de tout cela ne le poussa au meurtre, et la facilité même de cette immolation l’en détourna : il réfléchit que Dieu le lui avait livré précisément pour lui fournir un plus grand sujet, un plus grand motif de sagesse. Peut-être vous étonnez-vous qu’il ne se soit souvenu d’aucun de ses maux passés ; quant à moi, je l’admire pour quelque chose de bien plus grand : et quelle est cette autre raison ? C’est que même la crainte de l’avenir ne l’ait pas poussé non plus à s’emparer de son ennemi. Car il savait parfaitement que Saül, une fois échappé de ses mains, recommencerait à se tourner contre lui ; mais il aima mieux courir lui-même des dangers après avoir laissé échapper celui dont il avait à se plaindre, que pourvoir a sa propre sûreté en s’emparant de cet adversaire. Que pourrait-on trouver d’égal à cette âme grande et généreuse qui, sous une loi qui ordonnait de crever œil pour œil, d’arracher dent pour dent, de se venger enfin en rendant la pareille (Deu. 19,21), non seulement n’a point agi ainsi, mais encore a fait preuve d’une sagesse bien supérieure ? Pourtant, s’il eût alors tué Saül, il eût, même dans ce cas, conservé sans tache sa réputation de sagesse, non seulement pour s’être vengé sans avoir été le premier et injuste agresseur, mais aussi pour avoir surpassé par sa grande modération le précepte : Œil pour œil. Car ce n’est pas pour un seul meurtre qu’il en eût accompli un ; Saül ayant essayé de le tuer, non pas une fois, ni deux, mais à plusieurs reprises, t’eût été pour ces différentes morts que David lui en aurait donné une seule ; mais en outre, l’appréhension où il était de l’avenir pouvait lui faire prendre le parti de la vengeance ; et cette considération, jointe aux précédentes, lui assure dans toute sa plénitude la couronne de la patience des injures. Car si, irrité contre Saül de ce qui avait eu lieu, il se fût vengé de lui, il n’aurait pas droit aux éloges dus à cette patience ; si au contraire, ayant mis en oubli tous les faits passés, faits nombreux et graves, mais en même temps craignant pour l’avenir et