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homme charitable et bon, mais cruel et barbare, puisqu’au moyen d’un faible bienfait, il lui attire un châtiment inexprimable. Que pourrait-on voir de plus dur qu’un homme qui en nourrit un autre pour amasser des charbons ardents sur la tête de celui à qui il donne de quoi manger ? Voilà l’objection telle qu’on la fait : il reste maintenant à en produire la réfutation, afin que l’on voie clairement toute la sagesse du législateur ressortir des raisons mêmes qui paraissent mettre en défaut les paroles de la loi. Cette réfutation, quelle est-elle ?
Ce grand homme, ce généreux apôtre savait bien que c’est chose pénible et difficile que de se réconcilier promptement avec un ennemi, et que la difficulté, la lourdeur de cette tâche tient moins à sa nature propre qu’à notre paresse ; aussi, nous a-t-il commandé non seulement de nous réconcilier avec notre ennemi, mais encore de lui donner à manger, ce qui nous est bien plus à charge que le premier point. Car, s’il est des personnes que la seule vue de ceux qui leur ont nui exaspère, comment se résoudront-elles à les nourrir quand ils ont faim ? Que dis-je ? la seule vue ! Rien qu’à leur souvenir renouvelé devant nous, à leur nom prononcé, la plaie de notre âme se rouvre et son irritation augmente. Saint Paul savait tout cela ; et, comme il voulait rendre facile et aisée cette tâche rude et épineuse, comme il voulait persuader à l’homme qui ne peut pas même soutenir la vue de son ennemi d’en venir jusqu’à lui faire du bien, il a parlé de ces charbons ardents, afin que cet homme, excité par l’espérance d’être vengé, coure faire du bien à celui dont il avait à se plaindre. De même qu’un pêcheur enveloppe de toutes parts l’hameçon dans l’amorce pour le présenter aux poissons, de sorte que ceux-ci, accourant vers leur nourriture habituelle, soient pris grâce à ce moyen et facilement saisis ; ainsi l’apôtre saint Paul, voulant amener l’offensé à faire du bien à l’auteur de l’offense, ne présente pas à celui-là l’hameçon de la sagesse tout à nu ; mais il se sert de ces charbons ardents comme d’un appât pour le recouvrir, et c’est par l’espoir d’un châtiment qu’il convie celui qui a reçu l’injure à devenir le bienfaiteur de celui qui l’a faite ; nuis, quand il y est arrivé, il le retient désormais et ne lui permet pas de s’échapper, la nature même de son action l’attachant à son ennemi. C’est presque comme si l’Apôtre disait Tu ne veux pas nourrir par vertu celui qui t'a fait du tort ; nourris-le donc par espoir d’être vengé. Car saint Paul savait qu’une fois que, cet homme aura goûté à la bienfaisance envers son ennemi, elle deviendra désormais pour le bienfaiteur l’origine et le chemin de la réconciliation. Il n’est personne, en effet, non, personne, je le répète, qui consente à avoir éternellement pour ennemi celui dont il a satisfait la faim et la soif, et cela bien qu’il ait commencé par agir ainsi dans l’espoir d’en être vengé ; car le temps, dans son cours, relâche l’intensité de la colère même. Et, comme le pêcheur n’attirerait pas le poisson s’il lui présentait à découvert l’instrument meurtrier, tandis que l’hameçon, étant enveloppé, pénètre inaperçu dans la bouche de l’animal qui s’avance ; de même, si l’Apôtre n’eût point fait apparaître à l’offensé l’expectative d’une punition de l’offense, il ne lui aurait point persuadé d’entreprendre de faire du bien à celui d’où lui venait l’injure. Voilà donc des hommes qui fuient la présence d’ennemis qu’ils ne peuvent souffrir, d’ennemis dont la seule vue leur inspire du dégoût ! Saint Paul veut persuader à ces hommes de combler ces ennemis des plus grands bienfaits. Dans ce but, il leur parle de ces charbons ardents, non pas dans l’intention de faire retomber sur ces mêmes ennemis un châtiment sans ressource, mais afin qu’après avoir persuadé aux offensés de faire du bien à leurs ennemis dans l’attente d’une punition pour ceux-ci, il persuade aux premiers, avec le temps, de déposer tout ressentiment à l’égard de ces mêmes ennemis.
6. Voilà comme l’Apôtre a su apaiser la victime de l’offense. Maintenant, examinez comment il sait encore rapprocher de la personne lésée l’auteur de l’injustice. C’est d’abord par le procédé de la bienfaisance ; car il n’est point d’homme assez dépravé ni insensible pour ne pas être disposé à devenir le serviteur et l’ami de celui qui lui a donné de quoi boire et de quoi manger. En second lieu, c’est par la crainte de la vengeance ; en effet, si l’Apôtre semble s’adresser au bienfaiteur en disant : En agissant de la sorte, tu amasseras des charbons ardents sur sa tête; c’est surtout à l’auteur de l’injure qu’il s’en prend ; il veut, par cette crainte, l’empêcher de persister dans son inimitié ; en lui faisant comprendre que cette pourriture, cette boisson qu’il a reçus lui porteront