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mais pour vous et pour votre salut, qui m’est plus précieux que tout le reste. S’en mécontente qui voudra, qu’on dise que je suis insupportable, que je n’ai point de retenue ; je ne cesserai de vous tourmenter continuellement pour les mêmes motifs : car il n’est mien de meilleur pour moi que ce manque de respect humain. Peut-être en effet, peut-être que, rougissant, sinon d’autre chose, du moins de vous voir continuellement importunés sur le même sujet, vous prendrez enfin quelque jour en main les intérêts de vos frères. Que me servent en effet les louanges, si je ne vous vois faire des progrès dans la vertu ? et en quoi pourra me nuire le silence de mes auditeurs, si je vois s’augmenter votre piété ? Ce qui fait l’éloge d’un orateur, ce ne sont pas les applaudissements, c’est le zèle pieux de son auditoire : ce n’est pas le tumulte au moment où on l’écoute, mais l’attention qu’on lui prête tout le temps. A peine les cris d’applaudissements sont-ils sortis de vos bouches, qu’ils se répandent et vont se perdre dans les airs, mais quand les auditeurs deviennent meilleurs, alors c’est une récompense incorruptible, immortelle, et pour celui qui a parlé, et pour ceux qui ont suivi ses conseils. Vos cris et vos louanges rendent l’orateur illustre ici-bas, mais la piété de votre âme procure à celui qui vous a instruits une grande assurance au tribunal du Christ. De sorte que si vous aimez ceux qui vous parlent, aimez non pas qu’on les applaudisse, mais que leur auditoire profite. Ce n’est pas un léger mal que l’insouciance envers nos frères, c’est au contraire le dernier châtiment, la punition sans ressource ; nous en voyons la preuve dans cet homme qui avait enfoui son talent. On ne lui reprochait rien pour sa conduite, car il n’avait fait aucune prévarication relativement au dépôt confié, puisqu’il le restitua dans son entier ; malgré cela, il se comporta mal quant à la manière de le gérer. En effet, il n’avait pas doublé la somme confiée, et il en fut puni. Ce qui fait voir que nous aurions beau, nous, être zélés et applaudis, et vous, être plein d’ardeur pour entendre les divines Écritures, cela ne suffirait pas pour notre salut. Nous devons, en effet, doubler le dépôt qui nous a été confié ; or, nous le doublerons si, avec notre propre salut, nous pourvoyons encore à celui d’autrui. Car le dépositaire de l’Évangile a bien dit, lui aussi : Voilà votre somme intacte (Mat. 25,25) ; mais cela n’a pas suffi pour le justifier. C’est qu’il fallait, continue l’Évangile, placer chez les banquiers l’argent qu’on avait placé chez toi. (Id. 5,27) Et voyez combien les préceptes du Maître sont doux à observer. Les hommes rendent responsables, même de la réclamation, ceux qui prêtent à intérêt l’argent de leurs maîtres. On leur dit : C’est toi qui as placé l’argent, c’est à toi à le réclamer ; je n’ai rien à démêler avec celui qui l’a reçu. Dieu n’agit pas ainsi : il nous ordonne seulement de faire le placement ; il ne nous charge pas de réclamer. Quoi de plus doux ? Et cependant, le serviteur appelait dur un maître aussi débonnaire et aussi humain. Telle est, en effet ; la coutume des serviteurs ingrats et lâches : ils rejettent toujours leurs propres fautes sur leurs maîtres. C’est pourquoi le maître le fit torturer, enchaîner, et emmener dans les ténèbres extérieures. Pour ne pas avoir le même sort à souffrir, plaçons à intérêt chez nos frères les enseignements que nous recevons, qu’ils se laissent persuader ou non. Car s’ils se laissent persuader, ils seront utiles à eux et à nous ; si le contraire arrive, ils s’attirent un châtiment inévitable, et à nous, ils ne sauraient nous nuire absolument en rien. Nous avons fait ce qui dépendait de nous en leur donnant des conseils ; s’ils ne les écoutent pas, il ne peut nous en advenir aucun mal. On est répréhensible, non pas pour n’avoir pas persuadé le prochain, mais pour ne l’avoir pas conseillé ; après l’exhortation et le conseil, mais des exhortations, des conseils persévérants, continuels, ce n’est plus à nous, mais à eux que Dieu demandera compte. Je voudrais donc être sûr que vous persévérez à les exhorter, et que c’est malgré vos efforts qu’ils persistent toujours dans leur indolence : alors je ne vous importunerais plus ; mais je crains que ce ne soit votre négligence et votre incurie qui les laisse sans correction. Car il est inconcevable qu’un homme qui a continuellement le bienfait de l’exhortation et de l’enseignement, ne devienne pas meilleur et plus zélé. Je vais vous rappeler un proverbe bien populaire sans doute, mais qui confirme ce que je vous dis. La goutte d’eau, dit-on, à force de tomber sou vent, creuse la pierre. Et pourtant quoi de plus faible que l’eau ? quoi de plus dur que la pierre ? Malgré cela, la persistance a vaincu la nature. Et si la persistance triomphe de la nature, combien plus pourra-t-elle venir à bout