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fièvre en effet allume dans le corps un feu moins violent que ne fait dans l’âme la séparation d’avec ceux que nous aimons ; et si les fiévreux recherchent les boissons, les liqueurs, les eaux froides, c’est avec, autant d’ardeur que les amis séparés recherchent la vue de ceux qu’ils ont perdus. Ceux qui savent aimer comprennent bien ce que je dis.
Courage donc ! puisque la maladie m’a quitté, rassasions-nous les uns des autres, s’il est possible de nous rassasier jamais ; car l’amour ne connaît point la satiété, et plus il jouit de ceux qu’il aime, plus il s’allume et s’enflamme. L’élève de la charité, saint Paul, le savait bien, lui qui disait : Ne devez rien à personne, sinon de vous aimer mutuellement. (Rom. 13,8) C’est là en effet la seule dette que l’on contracte sans cesse, que l’on n’acquitte jamais. Il est beau et louable de devoir toujours de ce côté. S’agit-il des biens 'matériels, nous louons ceux qui ne doivent rien ; s’agit-il de l’amour, nous approuvons et nous admirons ceux qui doivent toujours. Si c’est d’une part de l’injustice, c’est de l’autre la marque d’une belle âme de ne jamais acquitter entièrement la dette de l’amour. Recevez avec bienveillance, malgré sa longueur, l’instruction que je vais vous adresser ; car je veux vous apprendre à jouer admirablement.de la lyre, non pas d’une lyre morte, mais d’une lyre qui a pour cordes les récits de l’Écriture et les commandements de Dieu. Les maîtres de lyre prenant les doigts de leurs disciples, les conduisent lentement sur les cordes, leur apprennent à les toucher avec art et à faire sortir d’instruments muets les sons les plus agréables et les plus doux ; je veux les imiter, me servant de votre âme comme de doigts, je l’approcherai des commandements de Dieu, et lui apprendrai à ne les toucher qu’avec art, et cela pour exciter la joie, non d’une assemblée d’hommes, mais du peuple des anges. Il ne suffit pas d’étudier les divins oracles ; il faut encore les pratiquer et les représenter dans sa conduite, l’accomplir par des actes. Les cordes d’une lyre, l’artiste les louche, l’ignorant les touche aussi ; mais tandis que celui-ci ne fait que choquer l’auditeur, celui-là l’enlève et l’inonde de délices, et pourtant ce sont les mêmes doigts, les mêmes cordes, l’art seul diffère ; de même pour les divines Écritures ; beaucoup les parcourent, mais le profit, mais le fruit, tous ne le retirent pas, et la cause en est que tous n’approfondissent pas cette parole, qu’ils ne touchent pas cette lyre avec art ; et effet, ce qu’est fait à la citharodie, la pratique l’est à la loi de Dieu. Nous n’avons touché qu’une seule corde pendant tout le carême ; je ne vous ai développé que la loi du serment, et, par la grâce de Dieu, beaucoup de mes auditeurs ont compris combien il était beau de l’observer ; aussi, quittant une habitude détestable, au lieu de jurer par le Seigneur, on n’entend plus sortir de leur bouche en toute conversation, que oui, non, croyez-moi; et quand même mille affaires pressantes viendraient les accabler, ils n’oseraient aller plus loin.
2. Mais comme il ne suffit pas pour le salut de n’observer qu’un précepte, je veux aujourd’hui vous en enseigner un second ; car bien que tous n’observent pas encore la loi dont j’ai parlé en premier lieu, et que quelques-uns soient en retard, ils voudront néanmoins, à mesure que le temps s’avancera, atteindre ceux qui les ont devancés. J’ai en effet remarqué que le zèle pour ce précepte est aujourd’hui si grand que tous, dans les occupations domestiques comme dans les repas, hommes et femmes, libres et esclaves, luttent à qui l’observera mieux ; et je ne puis m’empêcher de féliciter ceux qui se conduisent ainsi pendant leurs repas. Car quoi de plus saint qu’une table d’où l’ivresse, la gourmandise et la débauche, quelle qu’elle soit, sont bannies pour faire place à une admirable rivalité touchant l’observation des lois de Dieu, où l’époux observe son épouse et l’épouse son époux, de peur que l’un d’eux ne tombe dans l’abîme du parjure où une peine sévère est établie contre l’infracteur, où le maître ne rougit pas, soit d’être repris par ses esclaves, soit de reprendre lui-même ceux qui habitent sa maison ? Serait-ce se tromper que d’appeler cette maison l’église de Dieu ? Car là où règne une telle sagesse, que même à table, dans le moment qui semble autoriser la licence, on se préoccupe de la loi de Dieu et où tous luttent et rivalisent à l’envi à qui l’observera mieux, il est évident que le démon, que l’esprit mauvais ne s’y trouve plus, et que le Christ y règne, félicitant ses serviteurs de leur sainte émulation et leur distribuant toute faveur. Je laisserai donc un précepte dont l’observance, grâce à Dieu, et grâce à vous qui avez si chaudement entrepris et déjà si résolument