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je vous dis que l’un de vous me trahira. Eu sa qualité d’homme, il mangeait ; en sa qualité de Dieu, il révélait l’avenir ; il se soumet pour moi aux exigences de ma nature. Tous les disciples furent atterrés de cette parole ; leurs consciences étaient à la torture, et le temps du dîner était pour eux un temps de désolation ; chacun disait : Est-ce que c’est moi, Seigneur? (Id. 22) Ils voulaient, par cette question, provoquer une parole qui tranquillisât leur cruelle inquiétude. Alors le Sauveur, pour guérir l’esprit de ceux qui se tourmentaient sans motifs, dévoila par la réponse suivante l’auteur inconnu de cette trahison : Celui qui a mis avec moi la main dans le plat, c’est celui-là qui me trahira ; et quant au Fils de l’homme, il s’en va selon ce qui est écrit de lui. Mais malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme est trahi ! ce serait un bien pour cet homme de n’être jamais né. (Id. 23, 24) Il a pitié de celui qui ne veut pas avoir pitié de lui-même, il épargne celui qui n’épargne pas son âme. Il évitait de dévoiler celui qui s’était dévoilé depuis longtemps ; il voulait lui donner le temps de se repentir, et calmer le découragement des autres disciples ; mais le traître n’en devint nullement meilleur. Il aurait dû, aussitôt après ces effroyables paroles, se lever de table ; il aurait dû prier les disciples d’intercéder pour lui, il aurait dû embrasser les genoux du Sauveur, et chercher à l’apaiser par des paroles comme celles-ci : J’ai péché, Maître plein de miséricorde, j’ai péché, j’ai prévariqué, en vendant aux hommes pour un vil prix la perle inestimable ; j’ai prévariqué, en sacrifiant pour un peu d’argent le trésor inépuisable. Pardon pour moi, qui ai trafiqué de tes souffrances et de ta mort, pardon pour moi, à qui l’or a enlevé la raison ; grâce pour celui que les pharisiens ont indignement trompé ! Il ne dit rien, il ne pensa rien de tout cela, mais il montra l’effronterie de son âme en s’écriant brusquement : Est-ce que c’est moi, Seigneur ? O langue impudente ! ô âme intraitable ! Il questionne, comme s’il ignorait ce qu’il médite lui-même ; il se figure qu’il a échappé à l’œil qui jamais ne sommeille. Il portait la ruse dans l’âme, et sa langue affichait le langage de l’ignorance ; il ourdissait une trahison dans son esprit, et sa bouche, à ce qu’il croyait, tenait le crime caché. Il se sert des mêmes paroles que les autres disciples, et sa conduite est tout autre ; loup ravisseur dans l’âme, il interpelle le Maître avec la voix des brebis. Et que lui répond le Sauveur ? C’est toi qui l’as dit. Par cette parole pleine de longanimité, il confondit l’imposture du misérable. Il aurait pu lui dire : Que dis-tu, misérable, infâme ? que dis-tu, esclave de l’argent, et digne affidé du diable ? tu oses contrefaire l’ignorance ? tu oses cacher ce qui ne peut être caché ? N’étais-je pas là, par ma divinité, quand tu tramais ton projet ? ne t’ai-je pas vu de mon œil de Dieu aller trouver les princes des prêtres ? ne t’ai-je pas, quoique absent, entendu leur dire : Que voulez-vous me donner, pour que je vous le livre ? (Mat. 26,15) Ne sais-je pas aussi pour combien tu m’as vendu ? Eh quoi ! après ces preuves, tu as encore cette impudence ! pourquoi es-tu si jaloux de cacher ce que tu veux exécuter ? tout pour moi est à découvert. Jésus-Christ pouvait lui parler ainsi : il ne le fit point, et se contenta de lui dire avec douceur et sans amertume : C’est toi qui l’as dit, nous apprenant à nous conduire de la sorte à l’égard de nos ennemis. Et pourtant, après un pareil traitement, la maladie de Judas subsista, par l’incurie non pas du médecin, mais du malade. Notre-Seigneur en effet apporta tous les remèdes propres à sauver cette âme, mais Judas ne voulut pas les recevoir : ne connaissant que l’avarice, il aima mieux l’or que le Christ, et il se montra fidèle et favorable aux gens qui l’avaient salarié. Il s’approcha de Jésus, et lui dit : Salut, Maître, et il l’embrassa. (Id. 49) Voici une étrange manière de trahir, que de commencer par un salut et un baiser. Jésus lui répondit : Ami, que viens-tu faire ? (Id. 50) Pourquoi formules-tu un vœu pour mon bien-être, lorsque tu as résolu de m’affliger ? Pourquoi me flattes-tu en paroles, quand par ton action tu me déchires ? Pourquoi m’appelles-tu maître, n’étant pas mon disciple ? Pourquoi blesses-tu les droits de la charité ? Pourquoi, du symbole de paix, fais-tu un signal de trahison ? à l’exemple de qui as-tu donc agi de la sorte ? Est-ce ainsi que tu, as vu naguère la femme de mauvaise vie embrasser mes pieds ? est-ce ainsi que tu as vu le centenier tomber à genoux ? est-ce ainsi que tu as vu les démons se soumettre ? je sais qui t’a indiqué en secret le chemin de ce traître baiser ; c’est Satan qui t’a suggéré ce genre de détour, et toi, tu t’es laissé persuader par ce méchant conseiller, et c’est sa volonté que tu exécutes. Ami, que viens-tu faire ? Eh bien ! remplis les indignes conventions que tu as