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HOMÉLIE SUR LA TRAHISON DE JUDAS.

AVERTISSEMENT.


Ce n’est pas sans un certain scrupule que nous plaçons parmi les discours authentiques de Chrysostome cette homélie que nous publions pour la première fois, d’après un manuscrit du cardinal Ottoboni : en effet, malgré la mention de Daphné, l’un des faubourgs d’Antioche, par laquelle commence le discours, malgré celle d’Apollon Pythien, honoré dans ce faubourg par les païens, et quelques autres traits analogues semblant indiquer que c’est Chrysostome qui parle, il y a aussi beaucoup de caractères qui lui sont étrangers, comme par exemple ces exclamations et ces interrogations perpétuelles, bien plus fréquentes encore que chez Chrysostome[1]. – Cependant, comme ce discours ne manque ni de finesse, ni d’invention, et que d’ailleurs, comme on l’a déjà souvent dit, Chrysostome ne se ressemble pas toujours ; cette homélie peut ici trouver place. – Nous avons vu qu’il y avait eu un assez grand nombre de discours prononcés hors de la ville et dans les faubourgs d’Antioche, et qu’ils étaient ordinairement plus courts que les autres.
Le faubourg de Daphné est maintenant délicieux et aimé de Dieu, non seulement parce qu’il est arrosé des sources les plus limpides, et que les arbres s’y couvrent du plus charmant feuillage, mais encore parce qu’il s’est enrichi d’un arbre étranger, l’arbre de la, croix ; il renferme à présent une source de vraie sagesse, une source redoutable au démon Pythien. Il ne déroule plus son sol sous les pas des hommes impies, mais il offre à votre foule pieuse un bocage sacré, image de ce lieu chéri, de ce jardin où l’on osa trahir le Sauveur, et où commencèrent à germer les semences de notre salut. Aussi, je ne sais à quel objet m’arrêter pour la solennité présente : la solennité par elle-même excite ma langue à accuser Judas ; mais la miséricorde du Sauveur m’en dissuade, et demande à ma bouche des louanges. Je flotte entre deux sentiments divers : la haine du traître et l’amour du Maître ; mais l’amour triomphe de la haine, comme étant plus grand et plus puissant. Je laisserai donc le traître et je célébrerai le bienfaiteur, non pas autant qu’il le mérite, mais autant que j’en suis capable. Comment a-t-il abaissé les cieux et est-il descendu sur la terre ? Comment celui qui remplit toute la création est-il venu vers moi, après être né pour moi et à mon image ? Comment a-t-il pris pour disciple celui qu’il savait devoir le trahir, et s’est-il fait suivre de son ennemi comme d’un ami ? Comment ne se préoccupait-il pas de cette trahison, mais s’inquiétait-il du salut de ce traître ? Le soir étant venu, dit l’Évangile, Jésus était ci table avec les douze disciples, et tandis que l’on mangeait, il leur dit : En vérité, en vérité, je vous dis que l’un de vous me trahira. (Mat. 26,20-21) Il prédisait la trahison, afin d’empêcher le crime ; et cette prédiction, par laquelle il ne désignait personne, ne put triompher de l’iniquité du disciple, alors que cette iniquité n’était point connue des convives. Qui a jamais vu bonté semblable à celle que montra alors le divin Maître ? Il est trahi et il aime le traître. Quel est l’homme qui a de la compassion pour celui dont il est méprisé ? l’homme qui reçoit à sa table le vil trafiquant par lequel il a été vendu, l’homme qui épargne celui qui lui a tendu un piège ? Et tandis que l’on mangeait, il leur dit : En vérité, en vérité,

  1. Je prends la liberté d’observer que ces réflexions me paraissent porter à faux, attendu que cette homélie est fort belle, et que les interrogations et exclamations n’y sont nullement déplacées. (Note du traducteur)