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frères : il prévient donc cette résolution, et lui-même il se soustrait à un acte d’humanité si cruel. Il y avait bien des motifs capables de fléchir le tyran : l’âge de l’enfant, le supplice de tous ses frères, capable de rassasier même une bête féroce (mais le tyran, lui, n’était pas encore assouvi) ; puis, les cheveux blancs d’une mère, enfin, il voyait qu’il n’avait rien gagné au supplice des précédents.
2. Le jeune martyr ayant songé à tout cela, se précipita à ce supplice d’où il était ensuite impossible de réchapper ; il se plongea dans la chaudière comme dans une source d’eau fraîche, la regardant comme un bain céleste et comme un baptême. Et de même que lorsqu’on est la proie des flammes, on va se jeter dans un réservoir d’eau froide, ainsi notre martyr, brûlé du désir d’aller rejoindre ses frères, se précipita dans ce lieu de tourments.
Sa mère l’excitait encore par ses exhortations, non pas que son jeune fils en eût besoin, mais c’était afin que l’on connût la fermeté de cette femme ; elle n’eut, en effet, pour aucun de ses sept enfants, les sentiments habituels chez une mère, ou plutôt, elle les eut an contraire pour chacun d’eux, mais elle ne se disait pas : Eh ! quoi ? on m’a ravi tous mes enfants : ce dernier seul me reste ; s’il m’est enlevé, je n’en ai plus aucun ; qui désormais aura soin de ma vieillesse, si lui aussi vient à me quitter ? Ne me suffisait-il pas de livrer la moitié des six autres, ou si ce n’était pas assez, tous les six autres ? Le seul qui me soit laissé pour consoler ma vieillesse, le donnerai-je encore comme les précédents ? Elle n’a dit ni pensé rien de tout cela ; mais par ses paroles d’encouragement, comme si elle se fût servie de ses bras, elle enleva son fils et le plongea dans la chaudière, rendant gloire à Dieu de ce qu’il avait accueilli tous les fruits de ses entrailles, de ce qu’il n’en avait rejeté aucun, de ce qu’il avait récolté tous les produits de l’arbre. De sorte que je puis hardiment dire qu’elle a plus souffert que ses enfants. En effet, la plus grande part de douleur et la défaillance leur étaient épargnées ; tandis que leur mère, en qualité même de mère, avait une idée nette, une intelligence entière, et un sentiment très-clair de ce qui se passait. On pouvait y voir un triple feu, l’un allumé par le tyran, l’autre par la nature, et le troisième par le Saint-Esprit. La fournaise attisée par le tyran de Babylone n’était pas aussi ardente que la fournaise préparée à la mère des Macchabées parle tyran dont nous parlons ; dans la première, la flamme avait pour aliments le naphte, la poix, les étoupes et les sarments : ici le feu est activé par les sentiments de la nature, les angoisses maternelles, la tendresse de la famille, le saint accord de ces enfants. Le feu ne les torturait pas tant dans ces chaudières cruelles que leur mère était torturée par sa tendresse pour eux ; mais elle en triomphait par sa piété ; la nature luttait contre la grâce, et la victoire restait à la grâce : la piété surmontait ses angoisses, le feu était vainqueur du feu, le feu spirituel vainqueur du feu matériel, du feu allumé par la cruauté du tyran. Et de même qu’un rocher au bord de la mer reçoit les attaques des flots sans en être lui-même ébranlé, tandis qu’il les disperse en écume et les fait évanouir sans effort ; de même le cœur de cette femme, pareil à ce rocher du rivage, reçoit les coups de la douleur maternelle ; mais il demeure inébranlable et il en brise le choc par sa constance et son ferme courage ; elle tient à honneur de montrer au tyran qu’elle est vraiment leur mère, qu’ils sont vraiment ses généreux enfants, non point par les liens de la nature, mais par la ressemblance de leur vertu ; il lui semble voir non pas la flamme des supplices, mais un flambeau nuptial. Une mère qui pare ses enfants pour un mariage n’a pas autant d’allégresse que cette mère éprouvait de joie à la vue du supplice de ses fils ; et comme si elle eût revêtu l’un de la robe d’époux, qu’elle eût tressé des couronnes pour l’autre, et préparé pour un troisième la chambre nuptiale, ainsi était-elle joyeuse de voir l’un courir à la chaudière, l’autre à la poêle cruelle, et de voir couper la tête à un troisième. Ce n’était partout que fumée, odeur de chair brûlée ; chacun de ses sens lui transmettait quelque chose de ses enfants : ses yeux les voyaient, ses oreilles entendaient leurs paroles si chères à son cœur, ses narines recevaient la fumée si douce à la fois et si désagréable de leurs chairs consumées ; désagréable aux infidèles, mais la plus agréable de toutes, à Dieu et à elle-même ; cette fumée qui obscurcissait l’air, mais non pas l’âme de leur mère, car elle se tenait debout et imperturbable, supportant avec fermeté tout ce qui se passait. Mais il est temps de terminer ce discours, afin que nos martyrs