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élevés. Imaginons donc ce que doit avoir souffert cette femme, s’il faut l’appeler de ce nom, en voyant les doigts d’un de ses fils palpiter sur les charbons, sa tête bondir, une main de fer saisir la tête du second, en arracher la peau, et la victime encore debout et parlant au milieu de ce supplice. Comment put-elle ouvrir la bouche ? comment put-elle remuer la langue ? comment son âme ne s’envola-t-elle pas de son corps ? Je vais vous le dire : c’est qu’elle ne regardait pas sur la terre, mais qu’elle préparait tout pour l’avenir ; elle n’avait qu’une crainte, c’était que le tyran ne se modérât et ne terminât trop tôt la lutte, qu’il ne désunît ses enfants, et qu’il n’en restât quelqu’un sans couronne. Et la preuve qu’elle le craignait, c’est qu’elle saisit en quelque sorte le dernier de ses propres mains, pour le plonger dans la chaudière : seulement, au lieu de ses mains elle se servit de sa parole, l’exhortant et le conseillant. Nous autres, nous ne pouvons apprendre sans douleur les maux des étrangers, et elle, elle voyait sans douleur les maux des siens. N’écoutons pas à la légère des faits semblables, mais que chacun, dans cet auditoire, applique toute cette tragique histoire à ses propres enfants ; représentez-vous leur vue si chère, retracez-vous par la pensée les êtres que vous aimez le plus, et supposez-leur les mêmes souffrances vous connaîtrez bien alors toute la portée des choses dont je vous entretiens. Que dis-je ? même alors vous ne la connaîtrez pas ; car tout discours est impuissant à dépeindre les souffrances de la nature ; l’expérience seule nous en instruit. C’est bien le cas d’appliquer à cette mère, après le martyre de ses sept enfants, la parole du Prophète : Tu es comme un olivier chargé de fruits dans la demeure de Dieu. (Ps. 51,10) Aux jeux olympiques, il entre souvent mille combattants, et la couronne reste à un seul ; ici, il y a sept combattants, et tous les sept sont couronnés. Où me montreriez-vous une terre plus fertile ? Où trouver des entrailles plus fécondes, et un enfantement plus heureux ? La mère des apôtres fils de Zébédée ne donna le jour qu’à deux enfants ; et je ne sache point d’autre femme que la mère des Macchabées qui ait donné naissance à sept martyrs, qui se soit elle-même ajoutée à leur nombre, l’augmentant ainsi non pas d’une seule martyre, mais pour ainsi dire de bien d’autres. Car ses enfants ne furent que sept martyrs ; mais leur mère qui, selon la chair, ne fut qu’un martyr de plus, tint la place de deux fois sept martyrs, puisqu’elle fut martyre en chacun d’eux, et que c’est elle qui les rendit martyrs. Elle a donc enfanté pour nous une église tout entière de martyrs. Elle a eu sept fils, et elle n’en a enfanté aucun pour la terre, mais tous pour le ciel, ou plutôt pour le roi des cieux ; elle les a tous enfantés pour la vie future. Le démon la fit entrer la dernière dans l’arène, afin, comme je l’ai déjà dit, que sa force étant épuisée d’avance au spectacle des épreuves, son ennemi pût facilement s’en rendre maître. S’il arrive souvent que des hommes, en voyant couler le sang, tombent en défaillance, et qu’il faut toutes sortes de soins pour rappeler en eux la vie qui leur échappe, et cette âme prête à fuir de leur corps, que n’a-t-elle pas eu à souffrir, quel trouble n’a-t-elle point ressenti en son âme, cette femme qui voyait tous ces flots de sang s’échapper non pas du corps d’un étranger, mais de la chair de ses propres fils ? Ainsi donc, le démon la fit paraître sur l’arène après ses enfants, dans le but de l’affaiblir : mais il arriva tout le contraire ; elle ne se présenta au combat qu’avec plus d’audace. Quelle en est la cause ? Quel en est le motif ? C’est qu’elle n’avait plus rien à craindre, c’est qu’il ne lui restait plus d’enfants ici-bas pour qui elle eût à redouter un acte de faiblesse qui les aurait privés de la couronne ; c’est que les ayant tous mis en sûreté dans le ciel comme dans un asile inviolable, les ayant envoyés recevoir leur couronne céleste et jouir des biens immuables, elle s’armait pour la lutte avec une audace toute joyeuse. Ajoutant son propre corps à la troupe de ses enfants, comme à une couronne on ajoute une pierre d’un grand prix, elle s’en alla vers Jésus, l’objet de ses désirs, en nous laissant le plus grand des encouragements, le plus efficace des conseils, puisque sa conduite est une exhortation vivante à braver tous les supplices avec constance et grandeur d’âme. Quel homme, en effet, ou quelle femme, quel enfant ou quel vieillard sera désormais digne de pardon ou même d’excuse, s’il craint les dangers auxquels il serait exposé pour Jésus-Christ ; puisqu’une femme avancée en âge, mère de tant d’enfants, a combattu de la sorte même avant le règne de la grâce, quand les portes de la mort étaient encore fermées, que le péché n’était pas encore effacé, ni la mort