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Souvent une mère voyant son enfant brûlé par la fièvre souffrirait tout pour faire passer le feu de la maladie du corps de l’enfant dans le sien propre, tant il est vrai que les mères trouvent les maux de leurs enfants plus insupportables que ceux qu’elles ressentent personnellement ! Et puisqu’il en est ainsi, cette mère était torturée dans le supplice de ses enfants plus cruellement qu’eux-mêmes, et le martyre était plus grand dans la mère que dans ses fils. En effet, si la nouvelle seule de la maladie d’un enfant suffit pour bouleverser les entrailles de celle qui lui a donné le jour, que n’a point dû souffrir la mère des Macchabées qui se vit privée, non pas d’un seul enfant, mais d’un groupe si nombreux d’enfants, cette mère qui ne connaissait pas seulement leurs souffrances par ouï-dire, mais qui les leur voyait endurer sous ses propres yeux ? Comment ne fut-elle pas hors d’elle-même envoyant chacun d’eux périr lentement dans diverses tortures épouvantables ? Comment son âme ne quitta-t-elle pas violemment son corps ? Comment, dès la première vue, ne s’élança-t-elle pas sur le bûcher afin de se soustraire au reste du spectacle ? Car bien que douée d’une haute sagesse, elle était mère pourtant ; bien qu’elle aimât son Dieu, elle était revêtue de chair ; quoique pleine de zèle, toutefois elle était femme, et quoiqu’embrasée d’une ardente piété elle était retenue par les liens de l’affection maternelle. Si nous autres hommes, à la vue d’un condamné qui traverse bâillonné la place publique et qu’on traîneaux gémonies, nous sommes émus rien qu’à cet aspect, sans avoir aucun motif d’amitié pour lui et bien que suffisamment rassurés par la perversité de cet homme contre la crainte pour nous-mêmes d’un pareil traitement, je vous le demande, que dut éprouver une femme à la vue, non pas d’un seul condamné que l’on emmène, mais de sept enfants à la fois que l’on fait périr le même jour, non par une prompte mort, mais par diverses cruautés ? Quand elle eût été de marbre, quand même ses entrailles eussent eu la dureté du diamant, n’aurait-elle pas été troublée, n’aurait-elle pas ressenti quelque chose de ce qu’éprouve naturellement une femme et une mère ? Voyez combien nous admirons le patriarche Abraham pour avoir attaché et placé sur l’autel ce fils qu’il offrait à Dieu, et comprenez par là combien fut grand le courage de cette femme. O spectacle à la fois plein d’amertume et de joie ! plein d’amertume, vu la nature des événements ; plein de joie, vu la disposition de celle qui en était témoin. Car elle ne voyait point leur sang qui coulait, mais les couronnes que Dieu tressait à leur justice ; elle n’apercevait point leurs flancs déchirés, mais les tabernacles éternels qui s’élevaient pour eux ; elle ne considérait point les bourreaux qui les assiégeaient, mais les anges groupés autour d’eux ; elle oubliait ses angoisses de mère, elle ne tenait aucun compte de sa maternité, et peu lui importait son âge ; non, elle ne tenait aucun compte de la maternité, cette chose tyrannique, de la maternité, qui triomphe ordinairement des bêtes mêmes. En effet, combien de bêtes sauvages se laissent prendre par tendresse pour leurs petits, et, sans nul souci de leur propre conservation, tombent sans précaution entre les mains des chasseurs. De plus, il n’est point d’animal si faible qui ne défende sa progéniture, il n’en est point de si doux qui n’entre en fureur quand on lui enlève ses enfants. Mais notre sainte martyre brisa le joug tyrannique de maternité que lui imposaient et les hommes doués de raison, et les bêtes qui en sont dépourvues ; et non seulement elle ne s’élança pas à la tête du tyran, non seulement elle ne lui déchira pas le visage en voyant déchirer sa jeune postérité, mais elle poussa cette haute sagesse au point de préparer elle-même au tyran son barbare festin, et tandis que les premiers étaient encore à la torture, elle disposait les autres à souffrir les mêmes cruautés.
3. Que les mères écoutent ce récit ; qu’elles soient jalouses du courage de cette femme, et de sa tendresse maternelle ; qu’elles élèvent ainsi leurs enfants ; car ce n’est point l’enfantement qui fait la mère, c’est là un simple effet de la nature ; ce qui constitue la mère, c’est d’élever ses enfants, car ceci est le fait du libre arbitre. Et si vous voulez comprendre que ce qui constitue la mère ce n’est point de mettre l’enfant au monde, mais de bien l’élever, écoutez saint Paul louant la veuve, non pas pour avoir donné le jour à ses enfants, mais pour les avoir élevés. Car après avoir dit : Qu’on choisisse une veuve figée d’au moins soixante ans, éprouvée pour ses bonnes œuvres (1Tim. 5,9-10), il ajoute une parole qui montre quelle est l’œuvre principale d’une femme. Et quelle est-elle ? C’est, dit-il, si elle a élevé ses enfants. Il ne dit pas que c’est d’en avoir eu, mais de les avoir