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laissa enchaîner, conduire avec mille autres prisonniers, des criminels ; il ne rougit pas de partager leurs fers ; il eut grand soin de tous ceux qui faisaient la traversée avec lui ; il était certes plein de confiance pour lui-même, il savait bien qu’il était en sûreté, et, tout chargé de chaînes, il parcourut un si grand espace de mer, avec autant de joie que s’il fût allé prendre possession d’un empire. En effet ce n’était pas une récompense vulgaire qui l’attendait, mais la conversion de Rome. Cependant il ne dédaigna pas ceux qui se trouvaient avec lui dans le vaisseau ; il les rassura en leur racontant la vision qu’il avait eue, et qui leur apprenait que tous ceux qui naviguaient avec lui seraient sauvés, grâce à lui. Ce qu’il disait, non pour se glorifier, mais pour les rendre dociles à sa parole. Voilà pourquoi Dieu permit que la mer fût agitée, il voulait que par la résistance et aussi par la soumission de ceux qui entendaient Paul, il voulait que, par tous les moyens, la grâce de l’Apôtre fût manifestée. En effet, il avait donné le conseil de ne pas s’embarquer, on ne l’écouta pas, et l’on courut les plus grands dangers ; même dans ces circonstances, il ne se livra pas à la colère ; au contraire il eut pour l’équipage la prévoyance d’un père pour ses enfants, et il fit tout pour les sauver tous.
Arrivé à Rome, quelle douceur ne montra-t-il pas dans ses entretiens ! avec quelle fermeté libre il ferma la bouche aux incrédules ! Et il ne s’arrête pas à Rome, de là il court en Espagne. Les dangers augmentaient sa confiance, son audace s’en accroissait, et non seulement la sienne, mais celle de ses disciples qui s’exaltait par son exemple. S’ils l’avaient vu hésiter, faiblir, peut-être eux aussi se seraient-ils intimidés, de même en le voyant toujours animé d’un courage plus viril, toujours combattu, et toujours plus pressant, ils publiaient la parole en toute liberté. C’est ce qu’il déclare par ces paroles : Plusieurs de nos frères, se rassurant par mes liens, ont conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer sans crainte la parole de Dieu. (Phil. 1,14) En effet, quand un général a du courage ce n’est pas seulement lorsqu’il massacre ou qu’il tue, c’est aussi lorsqu’il est blessé lui-même qu’il inspire une nouvelle audace aux soldats sous ses ordres, il les anime même plus en recevant qu’en faisant des blessures. Car ceux qui le voient couvert de sang, plusieurs fois blessé, et cependant tenant toujours tête aux ennemis, toujours debout, en brave, l’épée à la main, persistant dans l’attaque en dépit des douleurs qu’il endure, ceux-là combattent de leur côté avec une valeur qui va grandissant toujours. C’est ce qui est arrivé à Paul. Quand on le voyait chargé de chaînes, prêcher l’Évangile dans sa prison, quand on le voyait, battu de verges, entreprendre la conversion de ceux qui le battaient, la généreuse hardiesse croissait chez ceux qui contemplaient ce spectacle. Aussi l’Apôtre ne dit-il pas simplement : Se rassurant par mes liens, mais il ajoute : Ont conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer sans crainte la parole de Dieu, ce qui veut dire : Nos frères ont témoigné plus de hardiesse en ces jours que quand j’étais libre. Et lui-même alors conçut plus d’ardeur, ses ennemis le trouvèrent encore plus impétueux, et le redoublement de ses persécutions ne fut que le redoublement de son intrépidité et l’occasion d’une plus ferme assurance. On le mit dans les fers, il y brilla d’un éclat si vif qu’il ébranla les fondements de sa prison, qu’il en ouvrit les portes, qu’il convertit le geôlier, presque le juge lui-même, au point que ce juge lui dit : Il ne s’en faut guère que vous ne me persuadiez d’être chrétien. (Act. 26,28) Autre preuve : il fut lapidé, et à son entrée dans cette ville qui le lapidait, il la convertit. Tantôt les Juifs, tantôt les Athéniens le citèrent pour le juger, et les juges devenaient ses disciples, ses accusateurs se soumettaient à lui. De même que le feu qui tombe sur des matériaux différents s’accroît trouvant des aliments nouveaux dans la matière qu’il dévore, de même l’éloquence de Paul s’emparait des âmes et les transformait ; ses adversaires, pris par ses discours, servaient aussitôt d’aliment à ce feu spirituel, et, par leur moyen, l’Évangile se répandait et en gagnait d’autres. De là ses paroles : Je suis enchaîné, mais la parole de Dieu n’est pas enchaînée. (2Tim. 2,9) On l’obligeait à prendre la fuite, c’était une persécution, mais la persécution devenait en réalité un apostolat, et ce qu’auraient pu faire des amis et des partisans du christianisme s’opérait par ses ennemis mêmes ; en ne permettant pas à l’Apôtre de rester fixé dans aucun pays, en chassant de toutes parts le médecin des âmes, en le forçant à circuler, ils faisaient, par leurs mauvais desseins, par leurs persécutions, que tous entendaient ses discours. On l’enchaîna de nouveau, on ne fit qu’irriter l’ardeur des disciples ;