Page:Jean Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 3, 1864.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

violente injustice exercée par des barbares sur les hommes de sa nation.
Voilà la marque d’une âme généreuse et libre, qui ne supporte pas l’injustice en silence, quoique sans mission pour la combattre. Moïse avait eu raison de s’emparer de cette tâche, Dieu l’a fait voir en lui donnant plus tard l’autorité ; c’est ce qu’il a fait voir également au sujet de Paul. Paul aussi avait noblement saisi la mission de la parole et de l’enseignement, et Dieu l’a montré, en se hâtant de l’instituer prédicateur et maître. Si un désir d’honneur et de préséance les avait poussés à s’occuper des affaires, s’ils n’avaient eu en vue que leurs intérêts, on aurait raison de les condamner ; mais s’il est vrai qu’ils recherchaient les dangers, qu’ils affrontaient à chaque instant la mort, pour assurer le salut de tous, qui serait assez malheureux pour faire le procès à ce généreux zèle ? Que le désir de sauver ceux qui périssaient fût le seul motif de leurs actions, c’est encore ce qu’a prouvé le décret de Dieu, c’est ce qu’a prouvé la perte de ceux qu’égara une coupable ambition. En effet d’autres ont brigué le pouvoir, le commandement suprême ; tous sont morts, les uns brûlés, les autres engloutis dans la terre entr’ouverte ; c’est qu’ils ne se proposaient pas l’utilité publique, mais le plaisir d’être au premier rang. Ozias écouta son ambition imprudente (2Chr. 26), il fut frappé de la lèpre ; Simon en fit autant (Act. 8), il fut condamné, il faillit encourir les derniers supplices ; Paul écouta son zèle, mais il fut couronné, car son zèle ne se proposait pas le pouvoir, l’honneur du sacerdoce, mais les charges, les fatigues, les dangers. Et c’est parce qu’un zèle ardent l’a précipité dans la carrière, c’est pour cette raison que son nom est glorieux, qu’il brille dès le début de sa prédication. Un magistrat, même régulièrement établi dans ses fonctions, s’il ne remplit pas ses devoirs, mérite un châtiment sévère ; de même celui qui, sans avoir été régulièrement établi, remplit, comme il convient, tous les devoirs, soit du sacerdoce, soit de toute autre charge publique, a droit à toute espèce de récompense. Aussi ne se livra-t-il pas un seul jour au repos, ce saint plus ardent que le feu, à peine sorti de la source sacrée du baptême, enflammé, ne voyant ni les dangers, ni les mépris, ni les insultes, ni l’incrédulité des Juifs, insensible à toutes les choses humaines, il n’a plus les mêmes yeux, il ne voit que la charité ; il n’a plus le même esprit, c’est un torrent impétueux qui renverse tout le judaïsme, l’Écriture triomphe, la démonstration se fait, Jésus est le Christ. La grâce n’inondait pas encore l’Apôtre de ses dons, il n’avait pas encore la plénitude de l’Esprit-Saint, et cependant ce feu brûla tout à coup, déjà toutes ses actions partaient d’une âme préparée à la mort ; on eût dit qu’il voulait réparer son passé, et il se jeta au plus fort de la mêlée où le combat présentait le plus de fatigues, de dangers et d’horreurs.
Et maintenant cet homme si hardi, si emporté par son zèle, qui respirait le feu, c’était la docilité, la douceur même, à ce point que dans sa plus grande fougue il ne se heurta jamais contre ceux qui avaient le droit d’enseigner. On le voyait bouillant, transporté d’ardeur, et, dans ce moment même, on lui disait d’aller à Tarse et à Césarée ; il y consentait ; on lui disait qu’il fallait descendre le long d’une muraille, il s’y résignait ; on lui conseillait de se couper les cheveux, il ne faisait pas d’objection ; on lui disait de ne pas se montrer dans l’assemblée du peuple, il obéissait ; uniquement soucieux de l’utilité des fidèles, ne respirant que la paix, la concorde, toujours préparé à la prédication. Ainsi quand on vous dit qu’il envoie son neveu au tribun, pour se soustraire lui-même aux dangers, qu’il va en appeler à César, qu’il s’empresse de se rendre à Rome, ne voyez pas là des preuves d’un manque de courage. Comment celui qui gémissait de la nécessité de la vie présente n’aurait-il pas préféré de se trouver avec Jésus-Christ ? Comment celui qui dédaignait le ciel, qui, pour Jésus-Christ, oubliait les anges, aurait-il pu tenir aux choses qui passent ? Quelle était donc la raison de sa conduite ? C’était pour prêcher plus longtemps l’Évangile, pour emmener avec lui, au jour de son départ, une foule d’hommes, tous couronnés comme lui. Car il craignait de se trouver pauvre, indigent, de n’avoir pas à emmener avec lui une multitude d’âmes sauvées, quand il quitterait la terre. De là ces paroles : Il est plus utile pour votre bien que je demeure encore en cette vie. (Phil. 1,24) De là encore, à la vue d’un tribunal favorable, lorsque Festus disait : Cet homme pouvait être renvoyé absous, s’il n’eût point appelé à César[1] (Act. 26,32), de là, dis-je, la patience, avec laquelle il se

  1. Ce n’est pas Festus, mais Agrippa qui dit ces paroles à Festus.