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vous paraissent des effets de la colère, vous êtes à même de dire que c’est par colère qu’il a aveuglé, maltraité Elymas (Act. 13), et qu’Ananie et Sapphire sont morts parce que Pierre eut un mouvement de colère. Quel homme assez insensé, stupide, soutiendra cette opinion ? Beaucoup d’autres paroles ou actions de l’Apôtre semblent des marques d’emportement. C’est pourtant dans ces circonstances que se manifeste le plus la douceur de son âme. En effet, lorsqu’il livra à Satan le débauché de Corinthe, il n’obéit qu’à un sentiment d’affection profonde, qu’à une pensée de charité. Il le déclare dans la seconde épître aux Corinthiens. Lorsqu’il menaça les Juifs en écrivant ces paroles : La colère de Dieu est tombée sur eux et y demeurera jusqu’à la fin (1Th. 2,16), il ne cédait pas à la colère (car vous entendez les continuelles prières qu’il fait pour eux), mais il voulait leur inspirer une crainte salutaire et les amener à la sagesse. Mais, autre objection encore, il a outragé le Grand Prêtre par, ces paroles : Dieu te frappera, muraille blanchie. (Act. 23,3) Nous savons que certains apologistes ont voulu y voir une prophétie ; cette interprétation est acceptable ; l’événement a justifié les paroles, le Grand Prêtre a fini ainsi. Mais dans le cas où un contradicteur pointilleux, serrant l’objection, nous viendrait dire : si c’était une prophétie, d’où vient que l’Apôtre s’est justifié en disant : Je ne savais pas que c’était le Grand Prêtre, nous lui répondrions que Paul a voulu par là nous avertir du respect dû à ceux qui exercent le commandement ; ainsi faisait Jésus-Christ ; après tant de malédictions et d’anathèmes, prononcés par lui contre les scribes et les pharisiens, il disait : Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; observez donc et faites tout ce qu’ils vous disent, mais ne faites pas ce qu’ils font. (Mt. 23,2-3)
De même ici, l’Apôtre a conservé le légitime respect et, en même temps, prédit l’avenir. S’il a séparé Jean de lui (Act. 15,33), il ne l’a fait que dans l’intérêt de la prédication ; car celui qui est chargé de ce ministère, ne doit pas être un lâche qui chancelle, mais un homme fort et décidé ; pour aborder une fonction si belle, il faut être prêt à donner mille et mille fois sa vie, prêt à tous les périls, selon la parole du Christ lui-même : Si quelqu’un, dit-il, veut venir sur mes pas, qu’il renonce à soi-même, qu’il se charge de sa croix et me suive. (Mt. 16,24) Celui qui n’est pas ainsi résolu en perd avec lui beaucoup d’autres ; mieux vaut pour lui de se tenir en repos, de ne s’occuper que de lui-même, plutôt que de se montrer en public, avec un fardeau qu’il ne peut porter ; car il se perd, et lui-même, et tous ceux qui lui ont été confiés. N’est-il pas insensé qu’un homme, qui ne sait ni conduire un vaisseau, ni lutter contre les vagues, supposé même qu’une foule de gens l’y contraigne, s’assoie au gouvernail ; et de même qu’on se charge étourdiment de prêcher l’Évangile, qu’on accepte, sans y prendre garde, une mission qui vous expose à mille morts ? Ni le pilote, ni le lutteur opposé aux bêtes féroces, ni le gladiateur, ni personne, ne doit être préparé dans l’âme à subir la mort, les blessures, au tant que celui qui se charge de la prédication ; celui-ci : rencontre des dangers plus redoutables, des ennemis plus terribles, une mort qui n’est pas sans épreuves ; et quels risques sérieux ne court-il pas le ciel pour récompense, ou l’enfer pour châtiment, l’âme perdue ou sauvée ! Et ce n’est pas seulement le prédicateur qui doit être ainsi préparé, mais le simple fidèle ; car c’est à tous, sans exception, que s’adresse l’ordre de prendre la croix et de suivre. Et si cet ordre est pour tous, à plus forte raison est-il fait pour ceux qui enseignent ; pour les pasteurs, dont faisait alors partie Jean, surnommé Marc. Aussi fut-il retranché avec justice, parce qu’il s’était mis à la tête de la phalange et qu’il s’y comportait tout à fait en lâche ; aussi Paul le renvoya loin de lui afin que sa timidité n’ébranlât pas les courages. Mais maintenant, quant à la contestation que Luc rapporte à ce sujet (Act. 15,39), ne voyez là aucun motif d’accusation. Contester n’a rien de blâmable, ce qui est répréhensible c’est de le faire sans raison et sans justice. La colère injuste, dit l’Écriture, ne sera pas innocente (Sir. 1,28), il ne s’agit pas de la simple colère, mais de la colère injuste. Écoutez maintenant le Christ : Celui qui se met en colère contre son frère sans sujet (Mt. 5,22), il ne dit pas simplement en colère. Et le prophète : Mettez-vous en colère et ne péchez point. (Ps. 4,5 ; Eph. 4,26) Si l’on ne peut se servir de cette passion, même dans l’occasion, elle est inutile et vaine ; mais ce n’est pas pour être inutile que le Créateur l’a mise en nous, c’est pour corriger les pécheurs, pour réveiller les âmes lâches et indolentes, pour nous faire secouer le sommeil