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quelque sorte, lorsqu’elles ont la liberté de pleurer, et sont oppressées lorsqu’elles ne peuvent donner un libre cours à leurs larmes. De même saint Paul recevait un soulagement de pleurer nuit et jour ; car jamais personne ne déplora ses propres maux comme cet apôtre déplorait les maux d’autrui. Quelle était, croyez-vous, sa douleur, en voyant que les Juifs n’étaient pas sauvés, lui qui demandait d’être déchu de la gloire céleste, pourvu qu’ils fussent sauvés ? (Rom. 9,2 et 3) D’où il est manifeste que leur perte lui était plus sensible que la privation de la gloire, puisque autrement il n’eût pas fait un pareil souhait, il n’eût point préféré ce dernier mal, comme plus consolant et plus doux ; et il ne se contentait pas d’un simple désir, il s’écriait : Je suis saisi d’une tristesse profonde ; mon cœur est pressé sans cesse d’une douleur violente.
Un homme qui s’affligeait presque chaque jour pour les habitants de la terre, et pour tous en général, pour les nations et les villes, et pour chacun en particulier, à quoi pourrait-on le comparer ? à quelle nature de fer, à quelle nature de diamant ? de quoi dirons-nous qu’était composée son âme ? de diamant ou d’or ? elle était plus ferme que le plus dur diamant, plus précieuse que l’or et que les pierres du plus grand prix. À quoi donc pourra-t-on comparer cette âme ? À rien de ce qui existe. Il y aurait peut-être une comparaison possible, si, par une heureuse alliance, le diamant acquérait les qualités de l’or, et l’or celles du diamant. Mais pourquoi le comparer à l’or et au diamant ? mettez le monde entier dans la balance, et vous verrez que l’âme de Paul l’entraînera. En effet, si lui-même a dit des saints, qui, couverts de peaux, vivaient dans des cavernes, qui n’ont brillé que dans un petit coin de la terre, que le monde ne les valait pas, à plus forte raison dirons-nous de lui que le monde entier ne le valait pas. Mais si le monde ne le vaut pas, qu’est-ce qui le vaudra ? peut-être le ciel. Mais le ciel lui-même n’est rien en comparaison de Paul ; car s’il a préféré lui-même l’amour du Seigneur au ciel et à tout ce qu’il renferme, à plus forte raison le Seigneur, dont la bonté surpasse autant celle de Paul que la bonté même surpasse la malice, le préférait-il à tous les cieux. Le Seigneur, oui, le Seigneur nous aime bien plus que nous ne l’aimons, et son amour surpasse le nôtre plus qu’il n’est possible de l’exprimer.
Examinez de quelles faveurs il a gratifié ici-bas cet apôtre avant la résurrection future. Il l’a ravi jusqu’au troisième ciel, et lui a fait entendre des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter. Et cette faveur lui était due, puisqu’il marchait sur la terre et se conduisait en tout comme s’il eût conversé avec les anges ; puisque, enchaîné à un corps mortel, il imitait leur pureté : puisque, sujet à mille besoins et à mille faiblesses, il était jaloux de ne pas se montrer inférieur aux puissances célestes. Il a parcouru toute la terre comme s’il eût eu des ailes ; il était au-dessus des travaux et des périls, comme s’il n’eût pas eu de corps ; il méprisait les choses de la terre comme s’il eût déjà joui du ciel ; il était éveillé et attentif comme s’il eût habité au milieu de puissances incorporelles. Des nations diverses ont été confiées au soin des anges ; mais aucun d’eux n’a dirigé la nation remise à sa garde comme Paul a dirigé toute la terre. Et ne me dites pas que ce n’est point Paul qui a été l’auteur et le principe de la conversion des peuples ; je l’avoue moi-même. Mais si ce n’est pas lui dont la vertu a opéré la conversion du monde, il mérite toujours quelques éloges, puisqu’il s’est rendu digne d’en être le ministre et l’instrument. Michel a été chargé de la nation juive, Paul l’était de la terre et des mers, de tout le monde habité et inhabitable. Et ce n’est pas pour déprimer les anges que je parle ainsi, à Dieu ne plaise ! mais pour montrer qu’il est possible à l’homme de s’approcher d’eux et d’habiter avec eux. Mais pourquoi le soin de la conversion du monde n’a-t-il pas été confié aux anges ? c’est afin que, si vous vous endormez dans une molle indolence, vous n’ayez aucune excuse, vous ne puissiez pas recourir à la faiblesse de votre nature. D’ailleurs, la conversion du monde était un prodige plus étonnant dans un simple mortel : n’est-il pas admirable, en effet, et extraordinaire, que la parole sortie d’une bouche humaine eut le pouvoir de mettre en fuite la mort, d’effacer les péchés, de dissiper les ténèbres qui enveloppaient le monde, de faire de la terre le ciel ? Voilà pourquoi je suis frappé de la puissance du Très-Haut, en même temps que j’admire Paul d’avoir signalé un pareil zèle, de s’être rendu digne d’une pareille grâce.
Quant à vous, mes frères, je vous exhorte à ne pas vous contenter d’admirer ce modèle de