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arrive, quand on fait usage de la nourriture, sans goûter au péché. Ce jeûne vaut mieux que l’autre, et non seulement il vaut mieux, mais il est aussi plus léger. A propos de cet autre jeûne, un grand nombre de personnes alléguaient la faiblesse de leur tempérament, des démangeaisons difficiles à supporter. Je suis plein de choses qui me démangent, dit l’un ; je ne peux pas rester sans prendre de bains ; je ne peux pas boire d’eau, l’eau me fait mal ; je ne supporte pas les légumes. J’en ai assez entendu, alors, de ces discours : pour le jeûne de maintenant, on ne peut rien dire de pareil. Prenez des bains, mettez-vous à table, buvez du vin, modérément, et si vous voulez goûter aux viandes, personne ne vous le défend ; jouissez de toutes choses, seulement abstenez-vous du péché. Comprenez-vous combien il est facile pour tout le monde de jeûner ainsi ? La faiblesse du tempérament ne peut plus être alléguée ; la pureté de l’âme suffit à l’accomplissement parfait. Il peut en outre se faire que, sans boire de vin, on s’enivre, et qu’en buvant du vin on se montre sage. Ce qui prouve que l’ivresse peut se produire sans le vin, c’est cette parole du prophète : Malheur à vous qui êtes ivres, sans avoir bu de vin ! (Is. 28,1) Comment peut-on s’enivrer sans vin ? Quand on ne mêle pas au vin pur des passions les pieuses pensées. Il est possible de boire du vin sans tomber dans l’ivresse : autrement Paul n’aurait pas prescrit l’usage du vin à Timothée, en lui écrivant : Usez d’un peu devin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies. (2Tim. 5,23) C’est que l’ivresse n’est pas autre chose qu’un trouble qui dérange la nature des pensées, le bouleversement de la raison, le vide de l’esprit, l’intelligence réduite à l’indigence. Et ces effets ne résultent pas seulement de l’ivresse par le vin, mais aussi de l’ivresse de la colère et des passions déréglées.
Car de même que la fièvre est produite par les veilles, produite par les fatigues, produite par le chagrin, produite par des humeurs viciées, par des causes différentes, mais que c’est toujours une seule et même affection maladive, il en est de même de ce qui nous occupe : le vin produit l’ivresse, et les passions aussi la produisent, et de même des humeurs viciées, les causes sont différentes, mais c’est toujours une seule et même affection, la même maladie. Abstenons-nous de l’ivresse : je ne dis pas abstenons-nous du vin, mais abstenons-nous de l’ivresse ; ce n’est pas le vin qui produit l’ivresse ; car le vin est un ouvrage de Dieu, et un ouvrage de Dieu n’a rien en soi de mauvais ; c’est une volonté mauvaise qui produit l’ivresse. Voulez-vous entendre dire que l’ivresse n’est pas seulement l’effet du vin, écoutez ce que dit Paul : Ne vous enivrez pas avec le vin (Eph. 5,18) ; il montre par là qu’il y a différentes espèces d’ivresse. Ne vous enivrez pas avec le vin, d’où naissent les dissolutions ; admirable manière de renfermer dans une expression courte tout ce qui accuse l’ivresse. Qu’est-ce à dire ? Ne vous enivrez pas avec le vin, d’où naissent les dissolutions. Nous appelons dissolus ceux d’entre les jeunes gens qui, après avoir reçu leur part de l’héritage paternel, gaspillent tout d’un seul coup, sans réfléchir à qui il convient de donner, quand il faut donner, dépensant vêtements, or, argent, indistinctement toutes les richesses reçues de leurs pères, et les distribuant à des courtisanes, à des compagnons de débauches. Voilà ce que fait l’ivresse. comme elle prend un jeune homme dissolu, elle saisit la pensée de ceux qui sont ivres, réduit la raison en servitude ; elle nous force à répandre étourdiment, sans aucune espèce de précaution, tout ce que nous avons dans l’esprit. L’homme ivre ne sait ni ce qu’il faut dire, ni ce qu’il faut taire ; sa bouche est toujours une ouverture sans porte, il n’y a ni verrou, ni porte sur ses lèvres ; l’homme ivre ne sait ni ménager ses discours avec discernement, ni administrer les richesses de son intelligence, ni mettre en réserve telles ressources, dépenser les autres, il dépense tout, il gaspille tout. L’ivresse est un délire volontaire, une trahison des pensées ; l’ivresse est un malheur ridicule, une maladie qui attire les sarcasmes, un démon que l’on adopte par choix, l’ivresse est plus funeste que la démence.
2. Voulez-vous la preuve que l’homme ivre est au-dessous du démoniaque ? Nous avons tous pitié du démoniaque, mais l’homme ivre, nous le détestons ; le démoniaque nous émeut de compassion, l’autre nous irrite et nous indigne ; pourquoi ? C’est que le premier subit un mal violent, l’autre ne souffre que par sa négligence ; celui-là succombe sous la perfidie de ses ennemis, celui-ci sous la perfidie de ses propres pensées ; et, maintenant, voici en quoi le démoniaque et l’homme ivre se ressemblent :