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HOMÉLIES SUR LA TRAHISON DE JUDAS.

DEUXIÈME HOMÉLIE[1]. Sur la trahison de Judas et sur la Cène mystique.

ANALYSE.


L’orateur après avoir prouvé que ce sont ceux qui font souffrir, et non ceux qui souffrent, qu’on doit pleurer, et que par conséquent on doit prier pour ses ennemis loin de faire contre eux des imprécations, développe avec beaucoup de vivacité et d’éloquence toutes les circonstances de la trahison de Judas. – Il entre ensuite dans les détails du souper mystique, de l’institution de l’eucharistie ; il compare la pâque des chrétiens a celle des Juifs, qui s’obstinent sans raison à conserver l’ancienne pâque. – Enfin il exhorte les fidèles à approcher de la table sainte avec une conscience pure, dégagée surtout de toute haine et de tout ressentiment, à en approcher sans bruit et sans tumulte.
1. J’aurais voulu, mes très-chers frères, continuer le sujet du patriarche Abraham et tirer de là le mets spirituel dont je me propose d’alimenter vos âmes ; mais la noire ingratitude d’un apôtre perfide m’entraîne de son côté, et la circonstance du jour m’engage à vous entretenir de l’excès de son crime. Jésus-Christ Notre-Seigneur a été livré aujourd’hui entre les mains des Juifs par son propre disciple. Ne soyez pas attristés, ne soyez pas affligés, parce que l’Évangile vous dit que notre divin Maître a été livré ; pleurez plutôt et gémissez, non à cause de Jésus qui a été livré, mais à cause de Judas qui l’a livré. Jésus trahi a sauvé le monde ; le traître Judas a perdu son âme ; Jésus trahi est assis dans les cieux à la droite de son Père ; le traître Judas est maintenant dans les enfers où il attend un supplice éternel et inévitable. C’est donc sur Judas que vous devez pleurer et gémir, puisque Jésus-Christ, notre divin Maître, en le voyant s’est troublé et a pleuré : Jésus en le voyant, dit l’Évangile, se troubla, et dit à ses apôtres : Un de vous doit me trahir. (Jn. 13,21) Et pour quelle raison s’est-il troublé ? c’est sans doute qu’il pensait que Judas, après tant d’instructions divines et d’avis salutaires, n’apercevait pas le précipice où il se jetait lui-même ; ainsi le divin Maître, qui envisageait la folie de son disciple, touché pour lui de compassion, fut troublé et pleura. Les évangélistes racontent chacun de leur côté la trahison de Judas, afin de mieux nous convaincre de la vérité du mystère qu’ils rapportent. Le Maître s’est troublé en voyant l’énorme ingratitude du disciple, pour nous apprendre à pleurer principalement ceux qui font le mal, et non ceux qui le souffrent. Ceux qui souffrent injustement méritent plutôt d’être regardés comme heureux ; c’est ce qui fait dire à Jésus-Christ : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume du ciel est à eux. (Mat. 5,10) Vous voyez quel avantage il y a à souffrir injustement ; examinez en un autre endroit quel supplice est réservé aux persécuteurs. Écoutons le bienheureux Paul : Pour vous, mes frères, dit-il, vous êtes devenus les imitateurs des Églises de Dieu qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ dans la Judée, ayant souffert les mêmes persécutions de la part de vos concitoyens, que ces Église s ont souffertes de la part des Juifs, qui ont mis à mort le Seigneur Jésus et leurs prophètes ; qui, pour combler la mesure de leurs péchés, nous empêchent d’annoncer aux gentils la parole de salut. Or, la colère du Très-Haut est tombée sur eux pour les accabler jusqu’à la fin. (1Th. 2,14-16) Vous voyez qu’on doit principalement pleurer et gémir sur le sort de ceux qui font du mal aux autres. Voilà pourquoi un Maître plein de douceur, voyant l’audace de son disciple, s’est troublé et a pleuré. Il voulait montrer, sans doute, combien il était touché du sort de ce disciple, combien, par un effet de sa bonté infinie, il s’occupait jusqu’au moment de sa trahison à corriger ses coupables sentiments. Pleurez donc amèrement, et gémissez sur le traître Judas, puisque notre divin Maître s’est affligé à cause de lui : Jésus, dit l’Évangile, se troubla, et dit à ses apôtres : Un de vous doit me trahir. Voyez quelle douceur et quelle patience ; comment, pour épargner le perfide, pour ne pas lui ôter toute honte, pour lui fournir un moyen de se repentir de sa fureur, comment, dis-je, il répand l’alarme et l’inquiétude parmi ses apôtres ; mais comme son âme dure et insensible, incapable de recevoir aucune semence de piété, était fermée à tous les conseils, comme la passion qui obscurcissait son esprit, le faisait courir en aveugle à sa perte, cette condescendance de son divin Maître ne lui servit de rien : Un de vous, dit Jésus, doit me trahir. Pour quelle raison, je le répète, Jésus s’est-il troublé, s’est-il affligé ? c’est afin de montrer son amour pour les hommes, et en même temps afin de nous apprendre, comme je l’ai déjà dit, qu’on doit principalement pleurer ceux qui font du mal aux autres : non, ce n’est pas sur celui qui souffre, mais sur celui qui fait souffrir, qu’on doit pleurer amèrement. Les souffrances de l’un lui valent le royaume du ciel, la méchanceté de l’autre le jette dans les supplices de l’enfer : Bienheureux, dit Jésus-Christ, ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume du ciel est à eux. Vous voyez comment les souffrances ont le royaume du ciel

  1. Traduction de l’abbé Auger, revue.