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venant prier vous n’en conserviez plus rien. Le Christ nous a pressés à cet égard, non seulement en faveur de nos ennemis, mais surtout dans notre intérêt, à nous qui leur pardonnons, car nous recevons plus que nous ne donnons quand nous faisons à notre ennemi le sacrifice de notre ressentiment. Et comment cela, direz-vous ? C’est qu’en pardonnant à votre ennemi, vous obtenez la rémission de vos fautes envers Dieu, fautes par elles-mêmes irréparables et irrémissibles, tandis que celles de votre ennemi sont pardonnables et faciles à expier. Écoutez Héli disant à ses fils : Si un homme péché contre un homme, on priera pour lui, mais s’il pêche contre Dieu, qui priera pour lui? (1Sa. 2,15) En sorte que sa blessure ne saurait être facilement guérie par la prière : ce que la prière seule ne pourrait faire, le pardon des fautes du prochain l’opère. C’est pourquoi Notre-Seigneur a comparé les péchés contre Dieu à dix mille talents, et à cent deniers seulement les fautes contre le prochain. (Mat. 18,23 et suiv) Remettez donc cent deniers, afin qu’on vous remette à vous-même dix mille talents.
2. En voilà bien assez sur la prière pour nos ennemis, revenons, si vous le voulez bien, à la trahison et voyons comment Notre-Seigneur a été livré. Alors s’en alla l’un des douze appelé Judas Iscariote, vers les princes des prêtres et il leur dit : que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? (Mat. 26,14-15) Il semble d’abord que ces paroles sont claires et qu’elles ne renferment aucun sens caché. Mais si l’on examine attentivement chacune d’elles, elles offrent un vaste sujet de réflexions et un sens profond. Et d’abord, remarquons le temps. L’Evangéliste ne se contente pas de l’indiquer simplement, car il ne dit pas seulement : il s’en alla, mais il a ajouté : alors il s’en alla. – Alors ? Pourquoi, je vous le demande, dans quel but indique-t-il le temps ? Que veut-il m’apprendre ? Ce n’est point par hasard qu’il a prononcé cet alors, car inspiré par l’Esprit-Saint, il n’a parlé ni au hasard, ni en vain. Que signifie donc cet alors ? Avant ce temps, avant cette heure une femme de mauvaise vie s’approcha portant un vase de parfums qu’elle versa sur la tête du Seigneur. Elle montra un grand empressement, une grande foi, une grande obéissance, une grande piété ; elle changea sa première vie, et devint meilleure et plus sage. Et quand cette femme eût fait pénitence, quand elle eut attiré à elle le Seigneur, alors son disciple le livra. Et voilà pourquoi il est dit : alors : afin que vous n’accusiez pas votre Maître de faiblesse en le voyant livré par son disciple. Car telle était encore sa puissance qu’il attirait à lui les femmes de mauvaise vie, pour s’en faire obéir. Mais quoi, direz-vous, celui qui attirait les pécheresses publiques ne put attirer son disciple ? – Il pouvait sans doute l’entraîner, mais il ne voulut pas le rendre bon par nécessité ni se l’attacher de force. Alors, s’en allant… Ce mot s’en allant, nous offre encore matière à réflexions. – En effet, il ne fut point appelé par les princes des prêtres, il ne céda ni à la nécessité ni à la violence, mais ce fut de lui-même, de son propre mouvement qu’il fit le mal et prit une détermination qui n’était inspirée que par sa malice.
Alors s’en allant, un des douze…… qu’est-ce, un des douze ?… C’est en effet une circonstance bien accablante pour lui d’être appelé un des douze. Il y avait soixante-douze autres disciples de Jésus, mais ils n’avaient qu’un rang secondaire, ils ne jouissaient pas d’un honneur aussi grand, ni d’une confiance aussi étendue, ils n’étaient pas initiés dans les secrets du Maître aussi intimement que les douze. Ceux-ci étaient éprouvés par-dessus tout, ils formaient le cortège royal, le conseil du souverain. C’est d’eux que se sépara Judas. Afin donc que nous sachions que ce ne fut pas seulement un simple disciple qui le trahit, mais un de ceux qui étaient le plus à l’épreuve, on l’appelle : un des douze. Et celui qui a écrit ces choses, saint Matthieu n’en rougit pas. Pourquoi n’a-t-il pas honte ? – Il faut que nous sachions que les apôtres disent toujours toute la vérité et qu’ils ne dissimulent pas même ce qui est à leur déshonneur. Ce qui semble ignominieux en effet, montre la bonté du Seigneur qui a daigné combler de si grands biens et supporter jusqu’à la dernière heure, un traître, un voleur et un larron. Il l’avertissait, il l’exhortait, il le comblait d’égards. S’il fut insensible à tout cela, la faute n’en est pas au Seigneur témoin la femme pécheresse qui rentra en elle-même et fut sauvée. Ne désespérez donc point en voyant cette femme, mais aussi, que l’exemple de Judas vous rende défiants envers – vous-mêmes : la présomption et le désespoir sont également funestes. La présomption renverse celui qui est debout, le désespoir cloue à terre