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ils le bonheur ? Où les méchants souffriront-ils, s’il n’y a pas ensuite une autre vie où chacun recevra selon ses œuvres ? Voyez-vous que c’est un pour un, et non pas deux pour un ? Je vais plus loin, et je prétends vous montrer que les méchants n’auront pas même un pour un, que les justes auront deux pour un. Ceux qui pendant la vie, se sont plongés dans les délices, n’ont pas même reçu un, pour uni ceux au contraire qui ont pratiqué la vertu, ont reçu deux pour, un. – Quels sont ceux qui ont goûté le repos pendant la vie ? Sont-ce ceux qui ont abusé du temps présent ou ceux qui se sont conduits avec sagesse ? – Les premiers, dites-vous ; moi, je vous dis que ce sont les derniers, et j’en atteste ceux-mêmes qui ont joui des biens présents, et ils n’auront rien à répliquer à ce que je vais dire.
Que de fois n’ont-ils pas maudit leurs fiancées, et le jour où s’est ouverte la chambre nuptiale ? Que de fois n’ont-ils pas envié le bonheur de ceux qui ne se sont point mariés ! Que de jeunes gens, libres de se marier, n’ont pu s’y résoudre, à la pensée des embarras de cet état de vie ! Je n’entends point par là décrier le mariage, (il est honorable), je ne fais que blâmer ceux qui en abusent. Si la vie des hommes mariés semble parfois insupportable, que dirons-nous de ceux qui se précipitent dans le gouffre de l’adultère ? Est-il un esclave plus malheureux ? Que dirons-nous de ceux qui se corrompent dans legs délices, et y contractent toutes sortes de maladies ? – Mais la gloire a glu moins des charmes. – Rien de plus amer qu’une telle servitude. L’homme, avide de gloire, se fait esclave, rampe jusqu’à terre pour plaire à tout le monde. Quiconque au contraire la foule aux pieds, quiconque méprise cette gloire qui vient des hommes, est au-dessus des autres. – Mais les richesses sont désirables. – N’avons-nous pas démontré bien des fois que moins on a de richesses ; plus on est riche et tranquille. – Il y a du plaisir à s’enivrer. – Non, vous ne pouvez tenir ce langage. – Si donc la pauvreté vaut mieux que les richesses, si le célibat est préférable au mariage ; si l’obscurité vaut mieux que la gloire, la privation mieux que les délices, on peut dire que les hommes détachés des choses de ce monde possèdent plus que les autres.
Je n’ai rien dit encore de l’espérance qui soutient l’homme affligé, même au milieu des plus vives souffrances, de cette crainte de l’avenir qui trouble le plaisir, même au sein des plus abondantes jouissances. N’est-ce pas là un terrible châtiment, et d’autre part, n’est-ce pas là aussi une source féconde de bonheur et de repos ? Mais ce n’est pas tout. – Qu’y a-t-il donc encore ? Les délices de la vie n’ont rien de réel, pas même au moment où on les goûte ; leur nature et leur fragilité le montrent assez ; les biens qui viennent de l’affliction, non seulement sont de vrais biens, mais ils demeurent inébranlables. – Vous le voyez donc, ce n’est pas deux pour rien, mais trois, cinq, dix, vingt, mille pour rien, qu’il faut dire. Un exemple le vous fera comprendre. Le mauvais riche et Lazare crut joui, l’un du présent ; l’autre de l’avenir. Est-ce la même chose, je vous le demande, que d’être éternellement tourmenté, et de souffrir quelques instants la faim ? De souffrir dans un corps mortel, et d’endurer sans pouvoir mourir le cruel supplice du feu ? Ne verrez-vous point de différence entre ces couronnes, ces jouissances, éternelles récompenses d’une courte maladie, et ces supplices, ces tourments éternels, conséquence de quelques instants de plaisir ? Est-ce la même chose ? qui oserait le dire ? Comparez ces deux états, quant à la quantité, quant à la qualité, voyez l’estime, que Dieu fait de l’un et de l’autre, le jugement qu’il porte sur l’un et, sur l’autre. Jusques à quand tiendrez-vous un langage digne de ces insectes qui se roulent dans la poussière ? Est-ce ainsi que doivent parler des hommes raisonnables ? Convient-il de sacrifier une âme si précieuse pour un si vil plaisir, quand il faudrait au contraire gagner le ciel au prix de quelques fatigues ? Voulez-vous une autre preuve du jugement terrible qui se fera au dernier jour ? Ouvrez la porte de votre conscience, et voyez ce juge qui siège au dedans de votre âme. Malgré l’amour que vous avez pour vous-mêmes, vous vous condamnez, et vous n’oseriez point porter sur vous-mêmes une injuste sentence. Pensez-vous que Dieu se préoccupe moins de la justice, qu’il ne prononcera pas, lui aussi, sur tous une sentence équitable, croyez-vous que cette sentence doive être prononcée au hasard et sans fondement ? qui oserait le dire ? personne – assurément. Tous, grecs et barbares, poètes et philosophes, le genre humain tout entier est en cela d’accord avec nous, chacun à sa manière ; et tous mettent des tribunaux dans les enfers, tant c’est chose manifeste et