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avoir fait du mal. Dites-moi : si vous aviez un serviteur qui ne fût ni voleur, ni insolent, ni enclin à répondre, d’ailleurs exempt d’ivrognerie et de tout vice du même genre, mais qui restât tout le jour sans rien faire, et n’accomplit aucun des devoirs de son service, est-ce que vous ne le fouetteriez pas ? est-ce que vous ne le mettriez pas à la torture ? Je le ferais, me répondra-t-on. Et pourtant quel mal vous aurait-il fait ? Le mal, le voilà justement. Mais si vous le voulez, prenons un autre exemple. Supposez un cultivateur qui ne fasse point de mal à nos propriétés, qui s’abstienne de toute rapine, de toute entreprise injuste, qui seulement se lie les mains et reste tranquille à la maison, sans s’occuper ni de semer, ni de creuser des sillons, ni d’atteler des bœufs, ni ne soigner les vignes, ni de travailler d’aucune façon à la terre. Est-ce que nous ne le châtierons pas ? Cependant il n’a pas fait de mal, nous n’avons rien à lui reprocher : mais n’avoir rien fait, c’est là son tort : et l’opinion commune le déclare coupable, pour n’avoir pas accompli sa tâche.

Dites-moi, en effet : si chaque manœuvre, chaque artisan, se contentait de ne faire aucun tort, ni aux gens d’une autre profession, ni à ses confrères, et vivait d’ailleurs dans l’oisiveté, ne serait – ce pas notre perte, notre ruine à tous ? Voulez-vous maintenant que nous considérions le corps ? La main aura beau ne pas frapper la tête, ne pas couper la langue, ne pas crever l’œil, s’abstenir, en un mot, de tous sévices de ce genre : si elle demeure oisive, et qu’elle ne rende pas au corps les services qu’elle lui doit, ne faudra-t-il pas la couper plutôt que de promener avec soi un membre dont l’inaction sera funeste au corps tout entier ? Et la bouche ? c’est en vain qu’elle ne mangera pas la main, ne mordra pas la poitrine : si elle manque à sa tâche, ne vaut-il pas mieux qu’elle soit fermée ? En conséquence, s’il est vrai également des serviteurs, des artisans et du corps, qu’on peut se mettre en faute non seulement en faisant le mal, mais encore en négligeant de faire le bien, à plus forte raison est-ce vrai pour le corps du Christ.

2. Aussi le bienheureux Paul nous prêche-t-il la vertu tout en nous détournant du vice. Qu’importe, en effet, dites-moi, que toutes les épines soient extirpées, si l’on ne sème pas le bon grain ? Notre labeur aboutira au même résultat fâcheux, si nous nous arrêtons à moitié chemin. Voilà pourquoi Paul, dans sa vive sollicitude pour nous, ne se borne pas à nous recommander l’extirpation des vices, mais nous invite aussitôt à nous occuper de planter le bien. En effet, après avoir dit : « Que toute amertume, toute colère, tout emportement, toute clameur et toute diffamation soient bannis du milieu de vous, avec toute malice », il ajoute : « Mais soyez bons les uns envers les autres, miséricordieux, vous faisant grâce ». Voilà les dispositions, les sentiments requis. Et il ne suffit pas d’être sorti du premier état pour arriver au second : il faut un nouveau mouvement, un élan non moins grand que pour fuir le mal, si l’on veut entrer en possession de ces mérites. De même un corps noir peut perdre cette qualité, sans devenir blanc du premier coup. Mais plutôt laissons là les exemples physiques, et prenons-en de moraux. Celui qui n’est pas ennemi n’est pas ami pour cela : il est dans un état intermédiaire qui n’est ni la haine ni l’amitié c’est celui où sont la plupart des hommes relativement à nous. Parce qu’on ne pleure pas, ce n’est pas à dire que l’on rie : on est dans un état mixte. De même ici : n’être pas méchant, ce n’est pas forcément être bon : on peut n’être pas courroucé, sans être nécessairement miséricordieux : il faut un nouvel effort pour conquérir ce nouveau titre.

Et considérez comment, fidèle aux règles d’une bonne agriculture, saint Paul nettoie et travaille la terre que lui a confiée le Cultivateur. Il a arraché les mauvaises herbes ; il nous exhorte maintenant à veiller sur les bons plants. « Soyez bons », dit-il. Car si, après l’extirpation des ronces, on laisse la terre sans culture, une végétation inutile s’y élèvera de nouveau. Il faut donc prévenir cette inaction, cette oisiveté de la terre en y faisant des plantations et des semailles. Paul extirpe la colère, il plante la bonté ; il arrache l’amertume, il sème la miséricorde ; il retranche la méchanceté et la diffamation, il plante le pardon : car c’est ce que signifie : « Vous faisant grâce mutuellement ». Soyez prompts à pardonner, nous dit-il. C’est là un bienfait qui vaut mieux qu’un cadeau d’argent. Celui qui remet une dette à son débiteur, fait sans doute une action rare et admirable : mais c’est un bienfait qui intéresse le corps seul, quoiqu’il soit rémunéré par des avantages spirituels et selon l’âme.