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liens du sang. Cet homme, quand on le provoquait, ne disait point : « Qui t’a établi chef et juge sur nous ? » ni rien de pareil. Et pourquoi n’avoir point tenu ce langage hier ? C’est ton injustice et ton inhumanité qui m’a fait ton juge et ton chef. Mais considérez maintenant qu’il ne manque pas de gens pour tenir ce langage à Dieu même. Sont-ils offensés, ils souhaitent qu’il se montre sévère, ils l’accusent d’un excès de patience : sont-ils offenseurs, c’est autre chose. Quoi de plus amer qu’un tel langage ? Et pourtant, cela n’a point empêché Moïse de remplir sa mission auprès de ces ingrats, de ces oublieux. Et même alors, après des signes si manifestes, après les prodiges opérés par lui, ils essayèrent à plusieurs reprises de le lapider, et il fallut qu’il s’échappât de leurs mains ; ils ne cessaient de murmurer, et néanmoins il les chérissait si tendrement, qu’il disait à Dieu, à la suite de leur horrible péché : « Si vous leur remettez leur péché, remettez : sinon, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit ». J’aime mieux périr avec eux, disait-il, que d’être sauvé sans eux.

Passion véritable, véritable excès d’amour. Que dis-tu ? tu dédaignes le ciel ? Oui, répondit, car j’aime les coupables. Tu demandes d’être effacé ? Et comment faire, répond-il ? J’aime. Et qu’arriva-t-il ensuite ? Écoutez ce que l’Écriture dit dans un autre endroit : « Et Moïse fut maltraité à cause d’eux ». Combien de fois ne l’avaient-ils pas outragé ? Combien de fois déposé, lui et son frère ? Combien de fois n’avaient-ils pas tenté de retourner en Égypte ? Et après tout cela il était encore tout passion, tout amour, tout prêt à souffrir pour eux. C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis ; en dépit des coups, des mauvais traitements, des difficultés, du délaissement, il faut travailler à leur salut. Et Paul, dites-moi, est-ce qu’il n’a pas demandé l’enfer pour en racheter le peuple ? Mais c’est au Maître qu’il faut emprunter un exemple. En effet, il ne fait pas autrement lui-même en disant : « Il a fait lever son soleil sur les méchants et les bons ». (Mat. 5,45) Il emprunte ses exemples au Père : c’est au Christ que nous devons emprunter les nôtres. Il vint vers les Juifs, j’entends selon l’Incarnation, il se fit serviteur pour eux, il s’abaissa, sortit de lui-même, prit la forme d’un esclave : et, descendu ici-bas, il ne voulut pas aller en personne visiter les gentils, et confia ce soin à ses disciples : non content de cela, il allait partout, guérissant toute maladie et toute infirmité.

Eh bien ! tandis que tous les autres étaient saisis d’étonnement, d’admiration, et disaient : « D’où lui viennent donc toutes ces choses » (Mat. 13,56), ceux qu’il comblait de biens disaient : Il a un démon ; il blasphème ; il est fou ; c’est un charlatan. Eh bien ! est-ce qu’il les repoussa ? Aucunement : il répondit à ces injures par des bienfaits plus grands ; il s’en alla vers ceux qui devaient le crucifier, dans le seul but de les sauver. Et après le crucifiement, que dit-il ? « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Maltraité par eux, sur le point de l’être encore, jusqu’au dernier soupir il s’occupait d’eux, il priait pour eux. Et encore après le crucifiement que ne fit-il pas en leur faveur ? N’envoya-t-il pas les apôtres ? Ne fit-il pas des prodiges ? N’employa-t-il pas tous les moyens ? C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis, ainsi que nous devons imiter le Christ. Paul agit de la sorte : assailli de pierres, en butte à mille mauvais traitements, il ne cessait de s’occuper de ses persécuteurs. Écoutez-le plutôt : « Ma bonne volonté et ma prière ont pour objet leur salut » ; et encore : « Je leur rends ce témoignage, qu’ils ont du zèle pour Dieu » ; et ailleurs. « Si toi, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été enté sur eux, à combien plus forte raison seront-ils entés sur leur propre olivier ». (Rom. 10,1-2 ; 11, 17) Combien de charité, de tendresse dans ces paroles ! On ne saurait, non, on ne saurait le dire. C’est ainsi qu’il faut aimer ses ennemis : ainsi l’on aime Dieu qui nous a prescrit cet amour, qui nous en a fait une loi : l’imiter, c’est aimer son ennemi. Songez que ce n’est pas à votre ennemi, mais à vous-même que vous faites du bien ; songez que ce n’est pas là aimer votre ennemi, mais obéir à Dieu. Instruits de ces vérités, pratiquons la charité mutuelle, afin qu’après avoir exactement rempli ce devoir, nous obtenions les biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles de siècles. Ainsi soit-il.