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fréquent de la préposition grecque, d’où vient ab et qui marque l’abstention, la séparation, l’éloignement, l’horreur, l’affranchissement. Souvent, sans faire le mal, on sent le désir de mal faire ; l’apôtre chasse ce désir par ce mot « Abhorrant ». Car il veut purifier jusqu’à la pensée, nous inspirer l’aversion profonde pour le mal, la haine qui le combat. N’allez pas croire, s’écrie-t-il, parce que je vous ai dit : « Aimez-vous les uns les autres », que vous deviez pousser cette affection jusqu’à vous entendre les uns avec les autres pour faire le mal. C’est tout le contraire que je vous recommande. Vous devez être étrangers non seulement à l’action, mais à la disposition mauvaise, et non seulement y être étrangers, mais vous en détourner avec horreur et la détester. Et cette recommandation ne suffit pas encore à l’apôtre, il y joint la pratique de la vertu, en disant : « Vous attachant fortement au bien ». Il ne se contente pas de dire, faisant le bien, mais le faisant avec amour ; car c’est là le sens du précepte exprimé par le verbe qu’il emploie. C’est ainsi que le Seigneur, en unissant l’homme à la femme, a dit : « L’homme s’attachera fortement à sa femme ». (Gen. 2,24)
L’apôtre donne ensuite les raisons de l’affection qui doit être réciproque entre nous. « Que chacun ait pour son prochain la tendresse fraternelle (10) ». Vous êtes frères, dit-il, sortis des mêmes entrailles, il est donc juste que vous vous aimiez les uns les autres. C’est ce que disait Moïse, à ceux qui disputaient en Égypte. Vous êtes frères, pourquoi vous faites-vous du mal les uns aux autres ? (Ex. 2,13) En parlant de la conduite avec les étrangers, l’apôtre dit : « S’il est possible, autant qu’il dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes » ; mais en parlant des fidèles entre eux : « Que chacun ait pour son prochain », dit-il, « la tendresse fraternelle ». Ce qu’il veut, par ces paroles, c’est qu’il n’y ait entre les étrangers et nous, ni querelles, ni haines, ni aversion ; c’est que l’affection règne entre nous, et, plus que la simple affection, la tendresse. Car non seulement, dit-il, la charité doit être sincère, mais intense, chaleureuse, ardente. Car qu’importe que votre affection soit exempte de perfidie, si elle n’a aucune chaleur ? Voilà pourquoi l’apôtre dit : « Que chacun ait pour son prochain la tendresse », ce qui veut dire, une affection chaleureuse. N’attendez pas que le commencement de l’affection vienne d’un autre, soyez le premier à prendre votre élan, à commencer, car c’est ainsi que vous recueillerez la récompense de l’amitié de cet autre frère.
3. Ayant donc donné la raison de l’affection mutuelle qui doit nous unir les uns aux autres, il dit aussi ce qui rend l’amitié solide. « Prévenez-vous les uns les autres par des témoignages d’honneur ». Car c’est là ce qui engendre et conserve la charité. Rien ne la provoque plus que le désir de surpasser le prochain par des déférences et des marques d’estime. Et ce n’est pas seulement l’amitié, mais la considération qui grandit par ce moyen. Car les biens dont nous avons déjà parlé naissent de la charité, la charité naît de l’estime, de même que par réciprocité l’estime naît de la charité. Ce n’est pas tout ; l’apôtre ne veut pas que nous nous contentions de nous honorer, il veut quelque chose de plus : « Ne soyez point lâches dans l’intérêt que vous portez (11) ». C’est cet intérêt qui engendre l’affection, quand nous l’unissons aux témoignages d’honneur et de déférence ; car rien ne provoque l’amitié autant que l’honneur que l’on rend à celui que l’on assiste. Il ne suffit pas d’aimer, il faut encore joindre à l’affection la sollicitude : ou plutôt, la sollicitude vient de ce que l’on aime, et l’amour est réchauffé par la sollicitude, et les deux se provoquent réciproquement. Beaucoup de personnes se contentent d’aimer en idée, et ne tendent pas la main. Voilà pourquoi l’apôtre rassemble de toutes parts tout ce qui édifie la charité.
Et comment ne serons-nous point lâches dans l’intérêt que nous portons ? « Ayez la ferveur de l’Esprit ». Voyez-vous l’apôtre demandant en toute chose, l’intensité et l’abondance ? Il n’a pas dit seulement : donnez ; mais avec libéralité ; il n’a pas dit seulement : conduisez ; mais il a ajouté : avec vigilance ; ni exercez la miséricorde ; mais il a dit : avec joie ; ni : honorez vos frères, mais il y joint : prenez du souci pour eux ; il ne se contente pas de dire : aimez ; mais : sincèrement ; ni : abstenez-vous du mal ; mais : détestez le mal ; ni : attachez-vous au bien ; mais : attachez-vous fortement ; ni : ayez de l’affection ; mais : une affection pleine de tendresse ; ni prenez intérêt ; mais : ne soyez point lâches dans votre intérêt ; ni : avec l’Esprit ; mais : la ferveur de l’Esprit,