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vous en étonnez pas ; il donne souvent cette forme à son langage pour contenir les uns et exciter les autres, comme je l’ai déjà dit bien des fois. Et, comme je l’ai dit encore, les Juifs eussent-ils été mille fois rejetés, les gentils n’auraient pas été sauvés s’ils n’avaient reçu la foi. Mais l’apôtre soutient le côté faible et vient en aide à ceux qui sont dans la peine. Mais voyez jusqu’à quel point il condescend en faveur des Juifs, comme il les console par ses paroles. « Car », dit-il, « si leur perte est la réconciliation du monde ». Qu’est-ce que cela fait aux Juifs, dira-t-on ? « Que sera leur rappel, sinon la résurrection ? » Mais, s’ils n’avaient pas été rappelés, ceci ne serait rien encore pour eux. Voici ce que l’apôtre veut dire : Si Dieu, irrité contre les Juifs, a fait à d’autres tant et de si grands dons, que ne leur accordera-t-il pas quand il sera réconcilié avec eux ? Mais comme ce n’est pas à cause de leur rappel qu’a lieu la résurrection des morts, de même ce n’est pas à cause d’eux que nous est venu le salut ; ils ont été rejetés à cause de leur folie, et nous avons été sauvés par la foi et la grâce d’en haut. Or, rien de cela ne peut leur être utile, s’ils ne montrent une foi suffisante.
Du reste, selon son habitude, l’apôtre passe à un autre éloge, éloge apparent seulement et non réel : imitant en cela les bons médecins qui donnent aux malades toutes les consolations que comporte la nature de la maladie. Que dit-il donc ? « Que si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi, et si la racine est sainte, les rameaux aussi (16) » ; appelant ici prémices et racine Abraham, Isaac, les prophètes, les patriarches, tous les hommes illustres de l’Ancien Testament, et rameaux, ceux de leurs descendants qui ont cru. Puis comme on lui objectait qu’un grand nombre n’avaient pas cru, voyez comme il coupe court à l’objection en disant : « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus… 17) ». Pourtant vous disiez plus haut que le plus grand nombre avaient péri, que bien peu avaient été sauvés ; comment donc, en parlant ici de ceux qui ont péri, dites-vous : « Quelques-uns », ce qui désigne clairement un petit nombre ? Je ne suis point, répond-il, en contradiction avec moi-même ; mais j’ai hâte de guérir et de relever ceux qui souffrent. Voyez-vous comme dans tout le passage percent ses efforts et son désir de les consoler ?
Autrement, on y trouverait bien des contradictions. Mais considérez sa sagesse, comment, tout en paraissant plaider en leur faveur et à chercher à les consoler, il les accuse implicitement et leur démontre, par leur racine, par leurs prémices, qu’ils n’ont aucun moyen de se justifier ? Songez à la malice des rameaux, qui, sortis d’une racine douce, n’ont pas su être doux comme elle : et à la méchanceté de la masse, que les prémices mêmes n’ont pas la vertu de changer.
« Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus ». Et c’est le plus grand nombre qui ont été rompus, mais, comme je l’ai dit, son but est de les consoler. C’est pourquoi il ne parle pas de sa seule autorité, mais d’après les patriarches, et, faisant ainsi un reproche implicite, il montre qu’ils sont déchus de la race d’Abraham ; car c’était là ce qu’il tenait à leur dire : qu’ils n’ont plus rien de commun avec lui. En effet, si la racine est sainte et qu’ils ne soient pas saints, ils sont donc loin de la racine : Puis, en paraissant consoler les Juifs, il accuse encore une fois les gentils. Après avoir dit : « Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus », il ajoute : « Et si toi, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été enté ». Plus le gentil était méprisable, plus le Juif souffrait de le voir jouir de son propre bonheur. et le gentil à son tour est moins humilié de sa bassesse qu’honoré du changement qui s’est opéré en lui. Et voyez la sagesse de Paul ! Il ne dit pas : Qui as été planté, mais : « Qui as été enté » ; pour blesser encore ici le Juif, en lui faisant voir que c’est sur son tronc que le gentil est placé, tandis qu’il est lui-même gisant à terre. Aussi ne s’en tient-il pas là, ne se borne-t-il pas à dire : « Tu as été enté », quoique ce mot renferme tout ; mais il insiste sur le bonheur du gentil et proclame sa gloire en disant : « Et participant de la racine et de la graine de l’olivier ». Il semble, il est vrai, présenter le gentil comme une adjonction ; mais il prouve aussi qu’il n’en éprouve aucun dommage et qu’il a eu tout ce qu’a eu le rameau sorti de la racine. Et de peur qu’en entendant ces mots. « Tu as été enté », vous ne vous imaginiez que le gentil, comparé au rameau naturel, lui est inférieur, voyez comme Paul le place au même rang, en disant. « Tu as été fait participant de la racine et de la graisse d’olivier » ; c’est-à-dire, tu partages la même noblesse, la même