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cruel, inhumain ; va-t’en et cesse de me prier. Nous méritons ces reproches et bien d’autres encore ; et pourtant jamais Dieu ne nous a rien dit de semblable ; il est patient, au contraire, il fait tout de son côté et nous accorde plus que nous ne demandons.
Songeant à cela, soulageons les besoins des pauvres, et ne nous inquiétons pas trop de savoir s’ils nous mentent. Car nous avons besoin d’être sauvés avec indulgence, avec bonté, avec une grande pitié. Et si l’on entre en un compte sévère avec nous, il n’y a pas moyen, non, il n’y a pas moyen d’être sauvés ; nous devrons tous être punis, tous être perdus. Ne soyons donc point juges impitoyables des autres, de peur d’être nous-mêmes examinés sévèrement : car nous avons tous des péchés qui ne méritent point de pardon. Ayons surtout pitié de ceux qui en sont indignes, afin de nous attirer aussi une pareille indulgence ; et néanmoins, quoi que nous fassions, jamais nous ne pourrons montrer autant de bienveillance qu’il nous en faut de la part du bon Dieu. Quelle absurdité, quand on est si indigent, d’être si sévère à l’égard de ses compagnons de pauvreté, et de tout faire contre eux ! Jamais vous ne prouverez que cet homme est aussi indigne de vos bienfaits que vous l’êtes de ceux de Dieu. Celui qui est exigeant à l’égard de son père sera traité par Dieu bien plus rigoureusement. Ne crions donc pas contre nous ; donnons, même à l’insolent, même au paresseux. Car, nous aussi, nous péchons souvent, et même toujours, par lâcheté, et Dieu ne nous en punit pas immédiatement ; mais il nous donne le temps de nous repentir, il nous nourrit chaque jour, il nous élève, nous instruit, ne nous refuse rien, afin que nous imitions ainsi sa miséricorde.
Dépouillons donc notre dureté, rejetons notre cruauté, et, en cela, nous nous rendrons service plus qu’aux autres. Aux pauvres, en effet, nous donnons de l’argent, du pain, des vêtements ; mais nous nous préparons une gloire immense, une gloire qu’il n’est pas possible d’exprimer. Car, reprenant des corps incorruptibles, nous serons glorifiés avec le Christ et nous régnerons avec lui ; par là nous voyons ce que ce sera, ou plutôt nous ne le comprendrons jamais clairement ici-bas ; néanmoins je ferai mots possible pour vous en donner une faible idée, d’après les biens mêmes de cette vie présente. Dites-moi : Si quelqu’un vous promettait, à vous vieux et pauvre, de vous rajeunir tout à coup, de vous ramener à la fleur de l’âge, de vous donner une force et une beauté sans égales, puis de vous faire régner sur le monde entier pendant mille ans, au sein de la paix la plus profonde que ne feriez-vous pas, que ne souffririez-vous pas, pour la réalisation d’une telle promesse ? Et voilà que le Christ vous promet, non pas cela, mais beaucoup plus. Car la distance entre la vieillesse et la jeunesse, entre l’empire et la pauvreté, est loin d’égaler celle qui sépare la corruptibilité et l’incorruptibilité, la gloire présente de la gloire future : c’est la différence des songes à la réalité.
10. Jusqu’ici, je n’ai encore rien dit : car il n’est pas possible d’exprimer en paroles l’immense distance qu’il y a entre les choses à venir et les choses présentes ; et quant à ce qui regarde la durée, il est absolument impossible de la concevoir.. Comment en effet comparer à la vie présente une vie sans fin ? Il y a autant de différence entre cette paix et celle-ci qu’il y en a entre la paix et la guerre ; autant de différence entre la corruptibilité et l’incorruptibilité qu’entre urne motte de terre et une perle précieuse ; ou plutôt ; personne ne peut expliquer cette différence. Si je compare la beauté de ces corps à l’éclat du rayon de lumière ou au plus brillant éclair, je n’ai rien dit qui approche de cette splendeur.
Est-il des richesses, est-il des corps et même des âmes qu’on ne doive sacrifier pour de tels avantages ? Si maintenant quelqu’un vous introduisait dans un palais, vous procurait un entretien avec le roi en présence de tout le monde, et l’honneur de vous asseoir à sa table, vous vous estimeriez le plus heureux des hommes ; et quand il s’agit de monter au ciel, d’habiter chez le Roi de l’univers, de le disputer en éclat aux anges et de jouir d’une gloire ineffable, vous hésitez à sacrifier des richesses ; quand, fallût-il même sacrifier votre vie, vous devriez tressaillir de joie, être transporté de bonheur et avoir des ailes ! Pour obtenir une charge, qui vous devient une occasion de vol (car je ne saurais appeler cela un gain), vous prodiguez vos biens, vous empruntez l’argent d’autrui, vous n’hésitez pas même, au besoin, à donner en gage votre femme et vos enfants ; et quand vous avez devant les yeux le royaume du ciel, un empire où personne ne peut prendre votre place ; quand