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C’est pour cela qu’après avoir dit : « L’égalité », il ajoute : « Dans le temps présent ». Et en parlant ainsi, il voulait rabaisser l’orgueil des riches, et faire voir qu’après notre départ d’ici-bas, les hommes spirituels auront de beaucoup l’avantage. Car en ce monde nous jouissons tous d’une grande égalité ; mais alors il y aura une grande différence, les uns auront sur les autres une extrême supériorité, car les justes seront plus resplendissants que le soleil. Ensuite, quand il les a représentés non seulement comme donnant, mais encore comme recevant en retour dé plus grands avantages, il veut donner à leur ardeur un autre mobile, en leur montrant que même s’ils ne font part de rien à autrui, ils ne posséderont lien de plus, après avoir ainsi tout amassé chez eux. Et il leur cite alors un trait de l’antique histoire : « Selon ce qui est écrit : « Celui qui en recueillait beaucoup, n’en avait pas plus que les autres ; et celui qui en recueillait peu, n’en avait pas moins ». (Ex. 16,18) C’est de la manne qu’il en fut ainsi. Car ceux qui en avaient ramassé davantage et ceux qui en avaient ramassé moins, se trouvaient en avoir la même mesure, Dieu punissant ainsi l’avidité. Or l’apôtre parlait ainsi, tant pour les effrayer par, l’exemple dé ce qui s’était passé alors, que pour leur persuader de ne désirer rien de trop, et de ne point s’affliger lorsqu’ils n’avaient pis assez. Et l’on peut voir se renouveler de nos jours, au sujet des affaires de cette vie, ce qui eut lieu autrefois à propos de la manne. Chacun de nous n’a qu’un seul estomac à satisfaire, la durée de la vie est la même pour tous, et chacun de nous n’est revêtu que d’un seul corps : en conséquence, le superflu du riche ne lui vaudra rien de plus, comme au pauvre son dénuement, rien de moins.
Dès lors, pourquoi craignez-vous la pauvreté ? Ou pourquoi courez-vous après la richesse ? Je crains, direz-vous, d’être forcé de frapper à la porte des autres, et de demander à mon prochain. J’entends aussi continuellement nombre de personnes qui font au ciel cette prière : Ne permettez pas que j’en vienne jamais à avoir besoin des hommes. J’ai grande pitié d’entendre un tel langage car la crainte est puérile. Tous les jours, et pour ainsi dire en toutes choses, nous avons besoin les uns des autres. De sorte que ces paroles dénotent un esprit irréfléchi, plein de lui-même, et qui ne discerne pas clairement la nature des choses. Ne voyez-vous pas que tous nous avons besoin les uns des autres ? le soldat a besoin de l’artisan, celui-ci du négociant, le négociant à son tour a besoin du laboureur, l’esclave a besoin de l’homme libre, le maître a besoin de l’esclave, le pauvre du riche, le riche du pauvre, celui qui ne fait aucun travail de celui qui fait l’aumône, et celui qui donné de celui qui reçoit, car celui qui reçoit l’aumône tient une place extrêmement nécessaire, et plus importante que toutes les autres. S’il n’y avait pas de pauvres, la plus grande partie de notre salut se trouverait renversée, les hommes n’ayant pas où répandre leurs richesses. Ainsi, le pauvre, qui semble le plus inutile de tous les hommes, en est au contraire le plus utile. Si donc il est honteux d’avoir besoin d’autrui, il ne lui reste plus qu’à mourir, car il n’est pas possible de vivre si l’on craint cela comme une honte. Mais je ne puis, direz-vous, souffrir un regard d’arrogance. Et pourquoi, en condamnant la hauteur chez les autres, vous flétrissez-vous du même coup par cette accusation ? Car ne pouvoir supporter l’arrogance, c’est le fait d’une âme gonflée elle-même d’orgueil. Et si tout cela ne mérite d’être compté pour rien, pourquoi le craindre, pourquoi le redouter, pourquoi à cause de cela trembler à l’idée de la pauvreté ? Si vous étiez riche, les gens dont vous auriez besoin n’en seraient que plus nombreux, oui plus nombreux et en outre plus vils : car plus on s’enrichit, plus on se met en butte à cette malédiction.
3. En demandant les richesses pour n’avoir besoin de personne, vous ne savez pas, ce que vous souhaitez : c’est comme si un homme, en s’embarquant sur une mer où l’on a besoin de nautoniers, d’un vaisseau, et de mille agrès divers, formait le vœu de n’avoir absolument besoin de personne. Si vous voulez n’avoir grand besoin de personne, demandez la pauvreté : car si, étant pauvre, vous êtes obligé d': avoir recours à quelqu’un, ce ne sera que pour du pain ou pour un vêtement ; tandis qu’étant riche, vous serez forcé de recourir à autrui pour vos terres, pour vos maisons, pour les impôts, pour les salaires, pour votre rang, pour votre sûreté, pour votre gloire, pour vos rapports avec les gens en place ; et non pas avec eux seulement, mais avec leurs subordonnés, avec ceux de la ville, ceux