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la Muette, je m’engageai à pied dans la courte étendue de prairie vierge qui sépare le ferry de Brownsville des maisons septentrionales de Matamoros. Je me sentais libre, sauf, satisfait d’avoir tenu ma parole, fier d’avoir conservé pendant trente-cinq jours de danger le papier qui m’était confié, et que d’autres, dans des circonstances semblables, avaient eu la faiblesse de détruire. J’apercevais, dans un rêve éloigné, ma famille, ma patrie, que j’avais parfois douté de revoir. En Europe, nos proscrits politiques se mettent en sûreté par une fuite de vingt-quatre heures ou tout au plus d’une semaine. J’avais passé trente-cinq jours, incertain de ma vie, défiant dans les stratagèmes que j’étais contraint d’employer, inquiet du sort final qui m’attendait à Brownsville. Je respirais à pleine poitrine; j’appuyais le pied d’un mouvement nerveux sur cette terre où j’étais libre, où l’esclave est libre, où la société a des vices sans doute, mais où elle est pure des excès qui ont rendu le Sud odieux et criminel. Je crois qu’un cri de satisfaction sortit de ma poitrine. Je jetai dans la poussière du chemin le fouet de roulier que je tenais encore à la main, et j’entrai dans la cité mexicaine.

Je marchai quelque temps au hasard. Des constructions à demi détruites, des toits brûlés, des murs criblés de boulets et de balles, se montraient partout comme des témoins des derniers troubles. Mais je n’apercevais en ce moment que les lauriers roses en fleurs, les dattiers qui élevaient leurs palmes au-dessus des maisons, les orangers chargés de fruits, les pêchers dans leur parure du printemps, les oliviers, les figuiers, les mûriers, aux mûres rouges et noires. Tout me semblait