Page:Jean Charles Houzeau - La terreur blanche au Texas et mon évasion, 1862.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veille du départ, marchant côte à côte d’un habitant qui appartient au parti scissionniste, je rencontrai dans la rue un des exilés, qui me salua en passant. Je rendis le salut. « Quoi, s’écria mon compagnon enflammé de colère, et en m’arrêtant court, vous ôtez votre chapeau pour un nègre ! » — « Voulez-vous, répondis-je, que le nègre soit plus poli que moi? »

Le convoi se forma de grand matin (18 janvier) de l’autre côté des ponts de San-Pedro. Il me fut donné d’assister au départ, d’être témoin de cet autre exode. Ce n’étaient point des individus que l’on frappait, ce n’étaient pas des coupables ni même des adversaires politiques : c’était une classe que l’on envoyait en exil… parce qu’elle avait du brun dans la peau.

Aucun des ministres protestants résidants ne parut à l’instant du départ, — pas même le ministre baptiste, qui comptait presque tous les bannis parmi les membres de son Église. Un mulâtre prononça à la hâte quelques paroles d’adieu; chacun serra les mains de ses amis, et l’on entendit de toute part : « Dieu vous protège! »

Ces scènes, jointes à d’autres que je passe sous silence, s’étaient succédé en peu de temps. La vie était remplie d’émotions et de mouvement. On eût dit un de ces mélodrames du boulevard, où le changement à vue n’attend que le coup de sifflet du machiniste. Il me resterait toutefois à ajouter un dernier tableau. Les décorations sont posées; les acteurs sont prêts; mais le rideau ne se lève pas encore. Comme dans le Monte Cristo de Dumas, la conclusion du drame est pour le lendemain.