Brizailles. — De Guerchard, l’inspecteur de la Sûreté ? Est-ce que par hasard tu aurais reçu la visite d’Arsène Lupin ?
Georges. — Lupin ne se dérange pas pour si peu de chose. On ne m’a volé qu’une bague… mais j’y tenais. Figure-toi…
Albert. — On demande Monsieur à l’appareil.
Georges. — C’est Mlle d’Avremesnil ?
Albert. — Non, Monsieur, c’est la gouvernante. Monsieur a la communication.
Georges. — C’est bien. Tu permets ? Allô ! c’est vous, mademoiselle Kritchnoff ? — Oui, oui, c’est moi… moi-même… oui, Germaine va venir ?… Oui, oui, j’attends, au revoir mademoiselle Kritchnoff ! La gouvernante est charmante aussi.
Brizailles. — Évidemment.
Georges. — Germaine et moi, nous avons monté ce matin à cheval tous les deux… Mais il y a déjà deux heures que nous ne nous sommes vus. C’est long !
Brizailles. — Comme on voit bien que vous n’êtes pas encore mariés.
Georges. — Brizailles, vous êtes un goujat, mon garçon. Allô, oui, c’est moi… vous allez bien… oui, très bien… Pas trop fatiguée par le cheval… Comment ?… Si je viens toujours dîner ce soir ?… En voilà une question ! Je viendrai d’abord prendre le thé… Comment ?… oui… ah ! oui, je vous aime… non, je ne peux pas, il y a quelqu’un.
Brizailles. — Tu sais, mon vieux, si je te dérange…
Georges. — Oui, c’est une femme, une très jolie femme. Je vais lui passer l’appareil. Viens lui dire un mot.
Brizailles, prenant les deux récepteurs et changeant sa voix. — C’est un flirt de votre fiancé qui vous parle, mademoiselle. (Il rit.) Allô !… Qui je suis ? Jacques de Brizailles… Allô !… Si je veux conduire le cotillon le 15 ?… avec joie… un bal blanc ?… avec joie… je vous félicite, vous savez… vous allez être malheureuse comme les pierres… mais je vous félicite.
Georges. — Dis donc, toi.
Brizailles. — Rappelez-moi au souvenir de monsieur votre père… oui, je viendrai prendre le thé demain… merci beaucoup ! (Passant l’un des récepteurs à Georges.) Elle est charmante.
Georges. — Allô !… oui, c’est re-moi. Gentil garçon, oui ! Comment ! Et vous ? grand comme quoi ?… vous êtes un ange. (Brizailles rit.) Hein ? veux-tu lâcher le récepteur, toi ? Allô ! Non, c’est à Brizailles… Ne coupez pas, mademoiselle… vous déjeunez tout de suite ? Je vous téléphonerai après déjeuner… au revoir… Quoi ? Le Matin ? le journal Le Matin ? non pourquoi ? une lettre de Lupin ? À propos de votre père… une fumisterie ! je vais voir ça… à tout à l’heure… Elle est délicieuse. (Il sonne.) Bertaut, apportez-moi Le Matin… Tu as lu Le Matin, toi ?
Brizailles. — Non, mais j’ai lu L’Écho de Paris.
Bertaut. — Il y a un monsieur qui demande Monsieur.
Georges. — Qui ça ?
Bertaut. — M. Henri Grécourt.
Georges. — Oh ! mais, je crois bien.
Brizailles. — Il déjeune avec nous ?
Georges. — Oui, tu le connais ?
Brizailles. — Intimement.
Georges. — Sapristi ! Vous n’êtes pas brouillés, au moins ?
Brizailles. — Pas du tout ; il vient de faire un livre remarquable… immoral, mais remarquable.
Georges. — Entrez, mon cher Grécourt. On vous accuse d’immoralité.
Scène III
Grécourt, entrant. — C’est vous qui me débinez, Brizailles ?
Brizailles. — Au contraire. Je vous accuse d’immoralité. Je vous fais de la réclame. Mais, enfin, votre livre, Le vol à travers l’histoire, c’est l’apologie du vol… le vol désormais historique.
Georges, qui a sonné. — Un apéritif avant déjeuner ? Nous ne déjeunons que dans une demi-heure.
Grécourt. — Je ne m’éloignerai pas avec dédain d’un verre de porto.
Georges, à Brizailles. — Et toi ?
Brizailles. — Whisky and soda !
Bertaut, entrant. — Voici Le Matin, Monsieur.