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L’Arrestation d’Arsène Lupin

le confesser ? Les Andrézy sont de bonne souche poitevine, mais leur blason est quelque peu dédoré, et il ne me paraît pas indigne d’un gentilhomme de songer à rendre à son nom le lustre perdu.

Et ces rêves, je le sentais, n’offusquaient point Nelly. Ses yeux souriants m’autorisaient à les faire. La douceur de sa voix me disait d’espérer.

Et jusqu’au dernier moment, accoudés aux bastingages, nous restâmes, l’un près de l’autre, tandis que la ligne des côtes américaines venait au-devant de nous.



Qui était le fameux arsène lupin


On avait interrompu les perquisitions. On attendait. Depuis les premières jusqu’à l’entrepont où grouillaient les émigrants, on attendait la minute suprême où s’expliquerait enfin l’insoluble énigme. Qui était Arsène Lupin ? Sous quel nom, sous quel masque se cachait le fameux Arsène Lupin ?

Et cette minute suprême arriva. Dussé-je vivre cent ans, je n’en oublierai pas le plus infime détail.

— Comme vous êtes pâle, miss Nelly, dis-je à ma compagne qui s’appuyait à mon bras, toute défaillante.

— Et vous ! me répondit-elle, ah ! vous êtes si changé !

La passerelle s’abattit. Mais avant que nous n’eûmes la liberté de la franchir, des gens montèrent à bord, des douaniers, des hommes en uniforme, des facteurs.

Miss Nelly balbutia :

— On s’apercevrait qu’Arsène Lupin s’est échappé pendant la traversée que je n’en serais pas surprise.

Soudain, je tressaillis, et comme elle un questionnait, je lui dis :

— Vous voyez ce vieux petit homme debout à l’extrémité de la passerelle ?

— Avec un parapluie et une redingote vert olive ?

— C’est Ganimard.

— Ganimard ?

— Oui, le célèbre policier, celui qui a juré qu’Arsène Lupin serait arrêté de sa propre main. Ah ! je comprends que l’on n’ait pas eu de renseignements de ce côté de l’Océan. Ganimard était là ! et il aime bien que personne ne s’occupe de ses petites affaires.

— Alors Arsène Lupin est sûr d’être pris ?

— Qui sait ? Ganimard ne l’a jamais vu, parait-il, que grimé et déguisé. À moins qu’il ne connaisse son nom d’emprunt…

— Ah ! dit-elle, avec cette curiosité un peu cruelle de la femme, si je pouvais assister à l’arrestation !

— Patientons. Certainement, Arsène Lupin a déjà remarqué la présence de son ennemi. Il préférera sortir parmi les derniers, quand l’œil du vieux sera fatigué.

Le débarquement commença. Appuyé sur son parapluie, l’air indifférent, Ganimard ne semblait pas prêter attention à la foule qui se pressait entre les deux balustrades. Je notai qu’un officier du bord, posté derrière lui, le renseignait de temps à autre.

Le marquis de Raverdan, le major Rawson, l’italien Rivolta, défilèrent, et d’autres, et beaucoup d’autres… Et j’aperçus Rozaine qui s’approchait.

Pauvre Rozaine ! il ne paraissait pas remis de ses mésaventures.

— C’est peut-être lui tout de même, me dit miss Nelly… Qu’en pensez-vous ?

— Je pense qu’il serait fort intéressant d’avoir sur une même photographie Ganimard et Rozaine. Prenez donc mon appareil, je suis si chargé.

Je le lui donnai, mais trop tard pour qu’elle s’en servît. Rozaine passait. L’officier se pencha à l’oreille de Ganimard, celui-ci haussa légèrement les épaules, et Rozaine passa.

Mais alors, mon Dieu, qui était Arsène Lupin ?

Il n’y avait plus qu’une vingtaine de personnes. Je dis à miss Nelly :

— Nous ne pouvons attendre plus longtemps.

Elle s’avança, Je la suivis. Mais nous n’avions pas fait dix pas que Ganimard nous barra le passage.

— Eh bien, quoi ? m’écriai-je.

Il me dévisagea un instant, puis il me dit, les yeux dans les yeux :

— Arsène Lupin, n’est-ce pas ?

Je me mis à rire.

— Non, Bernard d’Andrézy, tout simplement.

— Bernard d’Andrézy est mort il y a trois ans, en Macédoine. Comment vous êtes-vous procuré ses papiers, c’est ce que j’aurai le plaisir de vous expliquer.

— Mais vous êtes fou ! Arsène Lupin s’est embarqué sous le nom de R.

— Oui, encore un truc de vous, une fausse piste sur laquelle vous les avez lancés, là-bas. Ah ! vous êtes d’une jolie force, mon gaillard. Mais cette fois, la chance a tourné. Voyons, Lupin, montrez-vous beau joueur.

J’hésitai une seconde. D’un coup sec, il me frappa sur l’avant-bras droit. Je poussai un cri de douleur. Il avait frappé sur la blessure encore mal fermée que signalait le télégramme.

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